Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/278

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nécessaire que toutes nos idées se trouvent dans la substance efficace de la divinité, qui seule n’est intelligible ou capable de nous éclairer que parce qu’elle seule peut affecter les intelligences. Insinuavit nobis Chrístus, dit saint Augustin[1], animam humanam et mentem ratíonalem non vegetarí, non beatíficari, non illuminari, nisi ab ipsa substantia dei.

Enfin il n’est pas possible que Dieu ait d’autre fin principale de ses actions que lui-même ; c’est une notion commune à tout homme capable de quelque réflexion, et l’Écriture sainte ne nous permet pas de douter que Dieu n’ait fait toute chose pour lui. Il est donc nécessaire que non-seulement notre amour naturel, je veux dire le mouvement qu’il produit dans notre esprit, tende vers lui, mais encore que la connaissance et que la lumière qu’il lui donne nous fasse connaître quelque chose qui soit en lui ; car tout ce qui vient de Dieu ne peut être que pour Dieu. Si Dieu faisait un esprit et lui donnait pour idée, ou pour l’objet immédiat de sa connaissance le soleil, Dieu ferait, ce semble, cet esprit, et l’idée de cet esprit pour le soleil et non pas pour lui.

Dieu ne peut donc faire un esprit pour connaître ses ouvrages, si ce n’est que cet esprit voie en quelque façon Dieu en voyant ses ouvrages. De sorte que l’on peut dire que si nous ne voyions Dieu en quelque manière, nous ne verríons aucune chose[2] ; de même que si nous n’aimions Dieu, je veux dire si Dieu n’imprimait sans cesse en nous l’amour du bien en général. nous n’aimerions aucune chose. Car cet amour étant notre volonté, nous ne pouvons rien aimer ni rien vouloir sans lui, puisque nous ne pouvons aimer des biens particuliers qu’en déterminant vers ces biens le mouvement d’amour que Dieu nous donne pour lui. Ainsi comme nous n’aimons aucune chose que par l’amour nécessaire que nous avons pour Dieu, nous ne voyons aucune chose que par la connaissance naturelle que nous avons de Dieu ; et toutes les idées particulières que nous avons des créatures ne sont que des l’imitation de l’idée du créateur, comme tous les mouvements de la volonté pour les créatures ne sont que des déterminations du mouvement pour le créateur.

Je ne crois pasqu’il y ait deux théologiens qui ne tombent d’accord que les impies aiment Dieu de cet amour naturel dont je parle ; et saint Augustin et quelques autres Pères assurent comme une chose indubitable que les impies voient dans Dieu les règles des mœurs et les vérités éternelles. De sorte que l’opinion que j’explique ne

  1. I. In Journ., tract. 23.
  2. — 2. Liv. 1. ch. I.