Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/291

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produire tous les mouvements d’une montre, et de n’avoir outre cela aucune idée distincte de ce qui pourrait être cause de ces mouvements, quoiqu’on en ait plusieurs de logique ; ainsi, parce que ces personnes n’ont point d’idée distincte de ce qui pourrait être dans la matière, si l’étendue en était ôtée, qu’ils ne voient aucun attribut qui le fasse connaître, que, l’étendue étant donnée, tous les attributs que l’on conçoit appartenir à la matière sont donnés, et que la matière n’est cause d’aucun effet qu’on ne puisse concevoir que de l’étendue diversement configurée et diversement agitée ne puisse produire, ils se sont persuadés de là que l’étendue était l’essence de la matière.

Mais de même que les hommes n’ont point de démonstration certaine qu’il n’y a point quelque intelligence ou quelque entité nouvellement créée dans les roues d’une montre ; ainsi personne ne peut, sans une révélation particulière, assurer comme une démonstration de géométrie qu’il n’y a que de l’étendue diversement configurée dans une pierre. Car il se peut absolument faire que l’étendre soit jointe avec quelque autre chose que nous ne concevons pas, parce que nous n’en avons point d’idée, quoiqu’il semble fort déraisonnable de le croire et de l’assurer, puisqu’il est contre la raison d’assurer ce qu’on ne sait point et ce qu’on ne conçoit point.

Toutefois, quand on supposerait qu’il y aurait quelque autre chose que l’étendue dans la matière, cela n’empêcherait pas, si on y prend bien garde, que l’étendue n’en fût l’essence, seloh la définition que l’on vient de donner de ce mot. Car enfin il est absolument nécessaire que tout ce qu’il y a au monde soit ou bien un être, ou bien la manière d’un être ; un esprit attentif ne le peut nier. Or. l’étendue n’est pas la manière d’un être, donc c’est un être. Mais, puisque la matière n’est point un composé de plusieurs êtres, comme l’homme, qui est composé de corps et d’esprit ; puisque la matière n’est qu’un seul être, il est manifeste que la matière n’est rien autre chose que l’étendue.

Pour prouver maintenant que l’étendue n’est pas la manière d’un ètre, mais que c’est véritablement un être, il faut remarquer qu’on ne peut concevoir la manière d’un être qu’on ne conçoive en même temps l’être dont elle est la manière. On ne peut concevoir de rondeur, par exemple, qu’on ne conçoive de l’étendue, parce que la manière d’un être n’étant que l’être même d’une telle façon, la rondeur, par exemple, de la cire n’étant que la cire même d’une telle façon, il est visible qu’on ne peut concevoir la manière sans l’être. Si donc l’étendue était la manière d’un être, on ne pourrait concevoir l’étendue sans cet être dont l’étendue serait la manière.