Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/317

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tinuelle ; la volonté qui cherche ce qu’elle désire oblige l’esprit de se le représenter sous toutes sortes d’objets. L’esprit se les représente, mais l’âme ne les goûte pas ; ou, si elle les goûte, elle ne s’en contente pas. L’âme ne les goûte pas, parce que souvent la vue de l’esprit n’est point accompagnée de plaisir ; car c’est par le plaisir que l’âme goûte son bien ; et l’âme ne s’en contente pas, parce qu’il n’y a rien qui puisse arrêter le mouvement de l’àme que celui qui le lui imprime. Tout ce que l’esprit se représente comme son bien est fini ; et tout ce qui est fini peut détourner pour un moment notre amour, mais il ne peut le fixer. Lorsque l’esprit considère des objets fort nouveaux et fort extraordinaires, ou qui tiennent quelque chose de l’infini, la volonté souffre pour quelque temps qu’il les examine avec attention, parce qu’elle espère y trouver ce qu’elle cherche, et que ce qui paraît infini porte le caractère de son vrai bien ; mais, avec le temps, elle s’en dégoûte aussi bien que des autres. Elle est donc toujours inquiète, parce qu’elle est portée à chercher ce qu’elle ne peut jamais trouver et ce qu’elle espère toujours de trouver ; et elle aime le grand, l’extraordinaire et ce qui tient de l’infini, parce que, n’ayant pas trouvé son vrai bien dans les choses communes et familières, elle s’imagine le trouver dans celles qui ne lui sont point connues. Nous ferons voir, dans ce chapitre, que l’inquiétude de notre volonté est une des principales causes de l’ignorance où nous sommes et des erreurs où nous tombons sur une infinité de sujets ; et, dans les deux suivants, nous expliquerons ce que produit en nous l’inclination que nous avons pour tout ce qui a quelque chose de grand et d’extraordinaire.

II. Il est assez évident par les choses que l’on a dites, premièrement, que la volonté n’applique guère l’entendement qu’à des objets qui ont quelque rapport avec nous, et qu’elle néglige fort les autres ; car, souhaitant toujours la félicité avec ardeur et par l’impression de la nature, elle ne tourne l’entendement que vers les choses qui nous paraissent utiles et qui nous causent quelque plaisir.

Secondement, que la volonté ne permet pas que l’entendement s’occupe long-temps à des choses même qui lui donnent quelque plaisir, parce que, comme on vient de dire, toutes les choses créées peuvent bien nous plaire pour quelque temps, mais nous nous en dégoûtons bientôt après, et alors notre esprit s’en détourne et cherche ailleurs de quoi se satisfaire.

Troisièmement, que la volonté est excitée à faire ainsi courir l’esprit d’objet en objet, parce qu’il n’est jamais sans lui représenter coufusément, et comme de loin, celui qui contient en soi tous les