Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/318

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êtres, comme nous l’avons dit dans le troisième livre. Car la volonté voulant, pour ainsi dire, approcher davantage de soi son vrai bien pour en être touchée et pour en recevoir le mouvement qui l’anime, elle excite l’entendement à se le représenter par quelque endroit. Mais alors ce n’est plus l’être général et universel, ce n’est plus l’être infiniment parfait que l’esprit aperçoit ; c’est quelque chose de borné et d’imparfait, qui ne pouvant arrêter le mouvement de la volonté ni lui plaire long-temps, elle l’abandonne pour courir après quelque autre objet.

Cependant l’attention et l’application de l’esprit étant absolument nécessaire pour découvrir les vérités un peu cachées, il est manifeste que le commun des hommes doit être dans une ignorance très-grossière à l’égard même des choses qui ont quelque rapport à eux, et qu’ils sont dans un aveuglement inconcevable à l’égard de toutes les vérités abstraites et qui n’ont point de rapport sensible avec eux. Mais il faut lâcher de faire sentir ces choses par des exemples.

III. Il n’y a point de science qui ait tant de rapport à nous que la morale ; c’est elle qui nous apprend tous nos devoirs à l’égard de Dieu, de notre prince, de nos parents, de nos amis, et généralement de tout ce qui nous environne. Elle nous enseigne même le chemin qu’il faut suivre pour devenir éternellement heureux ; et tous les hommes sont dans une obligation essentielle, ou plutôt dans une nécessité indispensable de s’y appliquer uniquement. Cependant il y a six mille ans qu’il y a des hommes, et cette science est encore fort imparfaite.

Cette partie de la morale qui regarde ce que l’on doit à Dieu, et qui sans doute est la principale, puisqu’elle a rapport à l’éternité, n’a presque point été connue des plus savants, et l’on trouve encore à présent des personnes d’esprit qui n’en ont aucune connaissance. Cependant c’est la partie de la morale la plus facile ; car, premièrement, quelle difficulté y a-t-il à reconnaître qu’il y a un Dieu ? Tout ce que Dieu a fait le prouve ; tout ce que les hommes et les bêtes font le prouve ; tout ce que nous pensons, tout ce que nous voyons, tout ce que nous sentons le prouve ; en un mot, il n’y a rien qui ne prouve l’existence de Dieu ou qui ne la puisse prouver zi des esprits attentifs et qui s’appliquent sérieusement à rechercher l’auteur de toutes choses.

En second lieu, il est évident qu’il faut suivre les ordres de Dieu pour être heureux ; car, étant puissant et juste, on ne peut lui désobéir sans être puni, ni lui obéir sans être récompensé. Mais que demande-t-il de nous ? Que nous l’aimions, que notre esprit soit