Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/321

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nière conséquence de bien savoir, qu’íls n’y pensent presque jamais comme ils le doivent. Peu de gens voient la beauté de l’Évangile ; peu de gens conçoivent la solidité et la nécessité des conseils de Jésus-Christ ; peu les méditent, peu s’en nourrissent et s’en fortifient, l’agitation continuelle de la volonté qui cherche le goût du bien ne permettant pas que l’on s’arrête à des vérités qui semblent Pen priver. Voici une autre preuve de ce que je dis.

IV. Les impies doivent sans doute se mettre fort en peine de savoir si leur âme est mortelle, comme ils le pensent, ou si elle est immortelle, comme la foi et la raison nous l’apprennent. C’est là une chose de la dernière conséquence pour eux, il y va de leur éternité, et le repos même de leur esprit en dépend. D’où vient donc qu’ils ne le savent pas, ou qu’ils demeurent dans le doute, si ce n’est qu’ils ne sont pas capables d’une attention un peu sérieuse, et que leur volonté inquiète et corrompue ne permet pas à leur esprit de regarder fixement les raisons, qui sont contraires aux sentiments qu’ils voudraient être véritables ? Car enfin est-ce une chose si difficile à reconnaître que la différence qu’il y a entre l’âme et le corps, entre ce qui pense et ce qui est étendu ? Faut-il apporter une si grande attention d’esprit pour voir qu’une pensée n’est rien de rond ni de carré, que l’étendue n’est capable que de différentes figures et de différents mouvements, et non pas de pensée et de raisonnement, et qu’ainsi ce qui pense et ce qui est étendu sont deux êtres tout à-fait opposés ? Cependant cela seul suffit pour démontrer que l’âme est immortelle, et qu’elle ne peut périr quand même le corps serait anéanti.

Lorsqu’une substance périt, il est vrai que les modes ou les manières d’être de cette substance périssent avec elle. Si un morceau de cire était anéanti, il est vrai que les figures de cette cire seraient aussi anéanties avec elle, parce que la rondeur, par exemple, de la cire, n’est en effet que la cire même d’une telle façon ; ainsi elle ne peut subsister sans la cire. Mais quand Dieu détruirait toute la cire qui est au monde, il ne s’ensuivrait pas pourtant de là qu’aucune autre substance ni que les modes d’aucune autre substance fussent anéantis. Toutes les pierres, par exemple, subsisteraient avec tous leurs modes, parce que les pierres sont des substances ou des êtres, et non pas des manières d’être de la cire.

De même, quand Dieu anéantirait la moitié de quelque corps, il ne s’ensuivrait pas que l’autre moitié fût anéantie. Cette dernière moitié est unie avec l’autre, mais elle n’est pas une avec elle. Ainsi. une moitié étant anéantie, il s’ensuit bien, selon la lumière de la raison, que l’autre moitié n’y a plus de rapport, mais il ne s’ensuit