Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/354

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elles ont été jusqu’ici, et comme elles sont encore maintenant chez quelques savants ; car il n’est pas fort difficile de trouver des auteurs qui citent à tous moments de grands passages sans aucune raison de citer, soit parce que les choses qu’ils avancent sont si claires que personne n’en doute, soit parce qu’elles sont si cachées que l’autorité de leurs auteurs ne les peut pas prouver, puisqu’ils n’en pouvaient rien savoir, soit enfin parce que les citations qu’ils apportent ne peuvent servir d’aucun ornement à ce qu’ils disent.

Il est contraire au sens commun d’apporter un grand passage grec pour prouver que l’air est transparent, parce que c’est une chose connue à tout le monde ; de se servir de l’autorité d’Aristote pour nous faire croire qu’il y.a des intelligences qui remuent les cieux, parce qu’il est évident qu’Aristote n’en pouvait rien savoir ; et enfin de mêler des langues étrangères, des proverbes arabes et persans dans des livres français ou latins faits pour tout le monde, parce que ces citations n’y peuvent servir d’ornement, ou bien ce sont des ornements bizarres qui choquent un très-grand nombre de personnes et qui n’en peuvent satisfaire que très-peu.

Cependant la plupart de ceux qui veulent paraitre savants se plaisent si fort dans ces sortes de citations qu’ils n’ont quelquefois point de honte d’en rapporter en des langues même qu’ils n’entendent point, et ils font de grands efforts pour coudre dans leurs livres un passage arabe qu’ils ne savent quelquefois pas lire ; ainsi ils s’embarrassent fort de venir à bout d’une chose contraire au bon sens, mais qui contente leur vanité et qui les fait estimer des

Ils ont encore un autre défaut fort considérable, c’est qu’ils se soucient fort peu de paraître avoir lu avec choix et discernement ; ils veulent seulement paraître avoir beaucoup lu, et principalement des livres obscurs, afin qu’on les croie plus savants ; des livres rares et chers, afin qu’on s’imagine que rien ne leur manque ; des livres méchants et impies que les honnêtes gens n’osent lire, à peu près par le même esprit que des gens se vantent d’avoir fait des crimes que les autres n’osent faire. Ainsi ils vous citeront plutôt des livres fort chers, fort rares, fort anciens et fort obscurs, que non pas d’autres livres plus communs et plus intelligibles ; des livres d’astrologie, de cabale et de magie, que de bons livres, comme s’ils ne voyaient pas que la lecture étant la même chose que la conversation ils doivent souhaiter de paraître avoir recherché avec soin la lecture des bons livres et de ceux qui sont le plus intelligibles, et non pas la lecture de ceux qui sont méchants et obscurs.

Car de même que c’est un renversement d’esprit que de recher-