cher la conversation ordinaire des gens que l’on n’entend point sans interprète, lorsqu’on peut savoir d’une autre manière les choses qu’ils nous apprennent ; ainsi il est ridicule de ne lire que des livres qu’on ne peut entendre sans dictionnaire, lorsqu’on peut apprendre ces mêmes choses dans ceux qui nous sont plus intelligibles ; et comme c’est une marque de dérèglement que d’affecter la compagnie et la conversation des impies, c’est aussi le caractère d’un cœur corrompu que de se plaire dans la lecture des méchants livres. Mais c’est un orgueil extravagant que de vouloir paraitre avoir lu ceux-là même qu’on n’a pas lus, ce qui arrive toutefois assez souvent, car il y a des personnes de trente ans qui vous citent dans leurs ouvrages plus de méchants livres qu’ils n’en pourraient avoir lu en plusieurs siècles, et cependant ils veulent persuader aux autres qu’ils les ont lus fort exactement ; mais la plupart des livres de certains savants ne sont fabriqués qu’à coups de dictionnaires, et ils n’ont guère lu que les tables des livres qu’ils citent, ou quelques lieux communs ramassés de différents auteurs.
On n’oserait entrer davantage dans le détail de ces choses ni en donner des exemples, de peur de choquer des personnes aussi fières et aussi bilieuses que le sont ces faux savants, car on ne prend pas plaisir à se faire injurier en grec et en arabe. Outre qu’il n’est pas nécessaire pour rendre ce que je dis plus sensible d’en donner des preuves particulières, l’esprit de l’homme étant assez porté à trouver à redire à la conduite des autres et à faire application de ce que l’on vient de dire, qu’ils se repaissent cependant puisqu’ils le veulent de ce vain fantôme de grandeur, et qu’ils se donnent les uns aux autres les applaudissements que nous leur refusons, c’est peut-être les avoir déjà trop inquiètes dans une jouissance qui leur semble si douce et si agréable.
Les dignités et les richesses aussi bien que la vertu et les sciences dont nous venons de parler, sont les principales choses qui nous élèvent au-dessus des autres hommes, car il semble que notre être s’agrandisse et devienne comme indépendant par la possession de ces avantages, de sorte que l’amour que nous nous portons à nous mêmes se répandant naturellement jusqu’aux dignités et aux richesses, on peut dire qu’il n’y a personne qui n’ait pour elles quelque inclination petite ou grande. Expliquons en peu de mots com-