Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/359

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3° Qu’il y a des actions qui sont bonnes en un sens et mauvaises en un autre. C’est, par exemple, une mauvaise action que de s’exposer à la mort, lorsque Dieu le défend ; mais c’est aussi une bonne action que de s’y exposer lorsque Dieu le commande. Car toutes nos actions ne sont bonnes ou mauvaises que parce que Dieu les a commandées ou les a défendues, ou par la loi éternelle, que tout homme raisonnable peut consulter en rentrant en lui-même ; ou par la loi écrite, exposée aux sens de l’homme sensible et charnel, qui depuis le péché n’est pas toujours en état de consulter la raison.

Je dis donc que le plaisir est toujours bon, mais qu’il n’est pas toujours avantageux de le goûter.

1° Parce qu’au lieu de nous attacher à celui qui seul est capable de le causer, il nous en détache pour nous unir à ce qui semble faussement le causer ; il nous détache de Dieu pour nous unir à une vile créature. Il est toujours avantageux de goûter le plaisir qui se rapporte à la vraie cause et qui en est la perception. Car comme on ne peut aimer que ce qu’on aperçoit, ce plaisir ne peut exciter qu’un amour juste, que l’amour de la cause véritable du bonheur. Mais il est du moins fort dangereux de goûter les plaisirs qui se rapportent aux objets sensibles, et qui en sont la perception ; parce que ces plaisirs nous portent à aimer ce qui n’est point cause de notre bonheur actuel. Car encore que ceux qui sont éclairés de la véritable philosophie pensent quelquefois que le plaisir n’est point causé par les objets de dehors, et que cela puisse en quelque manière les porter à reconnaître et à aimer Dieu en toutes choses : néanmoins depuis le péché la raison de l’homme est si faible, et ses sens et son imagination ont tant de pouvoir sur son esprit, qu’ils corrompent bientôt son cœur, lorsqu’on ne se prive pas, selon le conseil de l’Évangile. de toutes les choses qui ne portent point à Dien par elles-mêmes ; car la meilleure philosophie ne saurait guérir l’esprit ni résister aux désordres de la volupté.

2° Parce que le plaisir étant une récompense, c’est faire une injustice que de produire dans son corps des mouvements qui obligent Dieu, en conséquence de sa première volonté ou des lois générales de la nature, à nous faire sentir du plaisir lorsque nous n’en méritons pas ; soit parce que l’action que nous laisons est inutile ou criminelle ; soit parce qu’étant pleins de péchés, nous ne devons point lui demander de récompense. L’homme avant son péché pouvait, avec justice, goûter les plaisirs sensibles dans ses actions réglées ; mais depuis le péché il n’y a plus de plaisirs sensibles entièrement innocents, ou qui ne soient capables de nous blesser