Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/360

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lorsque nous les goûtons, car souvent il suifit de les goûter pour en devenir esclave.

3° Parce que, Dieu étant juste, il ne se peut faire qu’il ne punisse un jour la violence qu’on lui fait, lorsqu’on l’oblige de récompenser par le plaisir des actions criminelles que l’on commet contre lui. Lorsque notre âme ne sera plus unie à notre corps, Dieu n’aura plus l’obligation qu’il s’est imposée de nous donner les sentiments qui doivent répondre aux traces du cerveau, et il aura toujours l’obligation de satisfaire à se justice ; ainsi ce sera le temps de sa vengeance et de sa colère. Alors, sans changer l’ordre de la nature, et demeurant toujours immuable dans sa première volonté, il punira par des douleurs qui ne finiront jamais les injustes plaisirs des voluptueux.

4° Parce que la certitude que l’on a des cette vie qu’il faut que cette justice se fasse, agite l’esprit de mortelles inquiétudes, et le jette dans une espèce de désespoir qui rend les voluptueux misérables au milieu même des plus grands plaisirs.

5° Parce qu’il y a presque toujours des remords fâcheux qui accompagnent les plaisirs les plus innocents, à cause que nous sommes assez convaincus que nous n’en méritons point ; et ces remords nous privent d’une certaine joie intérieure que l’on trouve même dans la douleur de la pénitence.

Ainsi, quoique le plaisir soit un bien, il faut tomber d’accord qu’il n’est pas toujours avantageux de le goûter, par toutes ces raisons ; et par d’autres semblables qu’il est très-utile de savoir, et qu’il est très-facile de déduire de celles-ci, il est presque toujours très-avantageux de souffrir la douleur, quoiqu’elle soit effectivement un mal.

Néanmoins tout plaisir est un bien, et rend actuellement heureux celui qui le goûte, dans l’instant qu’il le goûte et autant qu’il le goûte ; et toute douleur est un mal et rend actuellement malheureux celui qui la souffre, dans l’instant qu’il la soutïre et autant qu’il la souffre. On peut dire que les justes et les saints sont en cette vie les plus malheureux de tous les hommes, et les plus dignes de compassion. Si in vita tantum in Christo speramus, miserabiliores sumus omníbus homíníbus[1], dit saint Paul. Car ceux qui pleurent et qui souffrent persécution pour la justice, ne sont point heureux parce qu’ils souffrent pour la justice, mais parce que le royaume du ciel at à eux, et qu’une grande récompense leur est réservée dans le ciel, c’est-à-dire parce qu'ils seront quelque jour heureux. Ceux qui souffrent persécution pour la justice sont en

  1. 1. Aux Cor.