Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les sens et la concupiscence. Peut-être qu’ils entreront ainsi dans cet esprit de prière et de pénitence si nécessaire pour obtenir la grâce, sans laquelle il n’y a point de force, point de santé, point de salut à espérer.

II. Nous sommes intérieurement convaincus que le plaisir est bon ; et cette conviction intérieure n’est point fausse, car le plaisir est effectivement bon. Nous sommes naturellement convaincus que le plaisir est le caractère du bien, et cette conviction naturelle est certainement vraie, car ce qui cause le plaisir est certainement très-bon et très-aimable. Mais nous ne sommes pas convaincus que les objets sensibles ni que notre âme même soient capables de produire en. nous du plaisir ; car il n’y a aucune raison de le croire, et il y en a mille pour ne le pas croire. Ainsi les objets sensibles ne sont point bons, ils ne sont point aimables. S’ils sont utiles à la conservation de la vie, nous en devons user ; mais comme ils ne sont pas capables d’agir en nous, nous ne les devons point aimer. L’âme ne doit aimer que ce qui lui est bon, que ce qui est capable de la rendre plus heureuse et plus parfaite. Elle ne doit donc aimer que ce qui est au-dessus d’elle, car il est évident qu’elle ne peut recevoir sa perfection que de ce qui est au-dessus d’elle.

Mais parce que nous jugeons qu’une chose est cause de quelque effet lorsqu’elle l’accompagne toujours, nous nous imaginons que ce sont les objets sensibles qui agissent en nous, à cause qu’à leur approche nous avons de nouveaux sentiments, et que nous ne voyons point celui qui les cause véritablement en nous. Nous goûtons d’un fruit et en même temps nous sentons de la douceur ; nous attribuons donc cette douceur à ce fruit ; nous jugeons qu’il la cause et même qu’il la contient. Nous ne voyons point Dieu comme nous voyons et comme nous touchons ce fruit ; nous ne pensons pas même à lui, ni peut-être à nous. Ainsi nous ne jugeons pas que Dieu soit la véritable cause de cette douceur, ni que cette douceur soit une modification de notre âme ; nous attribuons et la cause et l’effet à ce fruit que nous mangeons.

Ce que j’ai dit des sentiments qui ont rapport au corps se doit aussi entendre de ceux qui n’y ont point de rapport, comme sont ceux qui se rencontrent dans les pures intelligences.

Un esprit se considère soi-même, il voit que rien ne manque à son bonheur et à sa perfection, ou bien il voit qu’il ne possède pas ce qu’il souhaite. A la vue de son bonheur il sent de la joie, à la vue de son malheur il sent de la tristesse. Il s’imagine aussitôt que c’est la vue de son bonheur qui produit en lui-même ce sentiment de joie, parce que ce sentiment accompagne toujours cette vue. Il s’i-