Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/397

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de l’âme suivent nécessairement les mouvements des esprits et du sang, pensent une chose qui n’a pas la moindre apparence. Il n’y a certainement que l’expérience que nous sentons dans nous mêmes de l’union de ces deux êtres, et l’ignorance des opérations continuelles de Dieu sur ses créatures, qui nous fasse imaginer d’autre cause de l’union de notre âme avec notre corps que la volonté de Dieu toujours efficace.

Il est difficile de déterminer positivement si ce rapport ou cette alliance des pensées de l’esprit de l’homme avec les mouvements de son corps est une peine de son péché ou un don de la nature ; et quelques personnes croient que c’est prendre parti trop légèrement que d’embrasser une de ces opinions plutôt que l’autre. On sait bien que l’homme, avant son péché, n’était point l’esclave mais le maître absolu de ses passions, et qu’il arrêtait sans peine par sa volonté l’agitation des esprits qui les causaient. Mais on a de la peine à se persuader que le corps ne sollicitait point l’áme du premier homme à la recherche des choses qui étaient propres à la conservation de sa vie. On a quelque peine à croire qu’Adam ne trouvait point avant son péché que les fruits fussent agréables à la vue et délicats au goût après ce qu’en dit l’Écriture, et que cette économie si juste et si merveilleuse des sens et des passions pour la conservation du corps, soit une corruption de la nature plutôt que sa première institution[1].

Sans doute la nature est présentement corrompue : le corps agit avec trop de force sur l’esprit. Au lieu de lui représenter ses besoins avec respect, il le tyrannise et l’arrache à Dieu, à qui il doit être inséparablement uni, et il l’applique sans cesse à la recherche des choses sensibles qui peuvent être utiles à sa conservation. L’esprit est devenu comme matériel et comme terrestre après le péché. Le rapport et l’union étroite qu’il avait avec Dieu s’est perdue : je veux dire que Dieu s’est retiré de lui autant qu’il le pouvait. sans le perdre et sans l’anéantir. Mille désordres se sont suivis de l’absence ou de l’éloignement de celui qui le conservait dans l’ordre ; et, sans faire une plus longue déduction de nos misères, j’avoue que l’homme est corrompu en toutes ses parties depuis sa chute.

Mais cette chute n’a pas détruit l’ouvrage de Dieu. On reconnaît toujours dans l’homme ce que Dieu y a mis ; et sa volonté immuable, qui fait la nature de chaque chose, n’a point été changée par l’inconstance et la légèreté de la volonté d’Adam. Tout ce que Dieu a voulu, il le veut encore ; et parce que sa volonté est efficace, il le fait. Le péché de l’homme a bien été l’occasion de cette volonté

  1. 1. Voy, le ch. 5 du premier liv.