Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/398

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de Dieu qui fait l’ordre de la grâce. Mais la grâce n’est point contraire à la nature : l’une ne détruit point l’autre, parce que Dieu ne combat pas contre lui-même ; il ne se repent jamais, et sa sagesse n’aÿant point de bornes, ses ouvrages n’auront point de fin.

La volonté de Dieu qui fait l’ordre de la grâce est donc ajoutée à la volonté qui fait l’ordre de la nature pour la réparer et non pas pour la changer. Il n’y a dans Dieu que ces deux volontés générales, et tout ce qu’il y a dans la terre de réglé dépend de l’une ou de l’autre de ces volontés. On reconnaîtra dans la suite que les passions sont très-réglées, si on ne les considère que par rapport à la conservation du corps, quoiqu’elles nous trompent dans certaines rencontres rares et particulières, auxquelles la cause universelle n’a pas voulu remédier. Il faut donc conclure que les passions sont de l’ordre de la nature, puisqu’elles ne peuvent être de l’ordre de la grâce.

Il est vrai que si l’on considère que le péché du premier homme a changé l’union de l’âme et du corps en dépendance, et qu’il nous a privés du secours d’un Dieu toujours présent et toujours prêt à nous défendre, on peut dire que c’est le péché qui est la cause de l’attachement que nous avons aux choses sensibles, parce que le pêche nous a détachés de Dieu, par lequel seul nous pouvons nous délivrer de leur servitude.

Mais sans nous arrêter davantage à la recherche de la première cause des passions, examinons leur étendue, leur nature, leurs causes. leur fin, leur usage, leurs défauts et tout ce qu’elles renferment.


CHAPITRE II.


De l’union de l’esprit avec les objets sensibles, ou de la force et de l’étendue des passions en général.


Si tous ceux qui lisent cet ouvrage voulaient prendre la peine de faire quelques réflexions sur ce qu’ils sentent dans eux-mêmes, il ne serait pas nécessaire de s’arrêter ici à faire voir la dépendance où nous sommes de tous les objets sensibles. Je ne puis rien dire sur cette matière que tout le monde ne sache aussi bien que moi, pourvu qu’on y veuille penser. C’est pourquoi j’aurais grand’envie de n’en rien dire. Mais parce que l’expérience m’apprend que les hommes s’oublient souvent si fort eux-mêmes, qu’ils ne pensent pas seulement à ce qu’íls sentent, et qu’ils ne recherchent point les raisons de ce qui se passe dans leur esprit, je crois que je dois dire ici certaines choses qui peuvent les aider à y faire réflexion. J’espère même que ceux qui savent ces choses ne seront