Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/41

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veau ; et parce qu’on ne peut pas se former des images des choses spirituelles, il s’ensuit que l’âme ne les peut pas imaginer ; ce que l’on doit bien remarquer.

Enfin l’âme n’aperçoit par les sens que les objets sensibles et grossiers, lors qu’étant présents ils font impression sur los organes extérieurs de son corps et que cette impression se communique jusqu’au cerveau, ou, lors qu’étant absents, le cours des esprits animaux fait dans le cerveau une semblable impression. C’est ainsi qu’elle voit des plaines et des rochers présents à ses yeux, qu’elle connaît la dureté du fer, et la pointe d’une épée et choses semblables ; et ces sortes de sensations s’appellent sentiments ou sensations.

L’âme n’aperçoit donc rien qu’en ces trois manières ; ce qu’il est facile de voir si l’on considère que les choses que nous apercevons sont spirituelles ou matérielles. Si elles sont spirituelles, il n’y a que l’entendement pur qui les puisse connaître ; que si elles sont matérielles, elles seront présentes ou absentes. Si elles sont absentes, l’âme ne se les représente ordinairement que par l’imagination ; mais si elles sont présentes, l’âme peut les apercevoir par les impressions qu’elles font sur ses sens ; et ainsi nos âmes n’aperçoivent les choses qu’en trois manières, par l’entendement pur, par l'imagination et par les sens.

On peut donc regarder ces trois facultés comme de certains chefs auxquels on peut rapporter les erreurs des hommes et les causes de ces erreurs, et éviter ainsi la confusion où leur grand nombre nous jetterait infailliblement si nous voulions en parler sans ordre.

Mais nos inclinations et nos passions agissent encore très-fortement sur nous ; elles éblouissent notre esprit par de fausses lueurs, et elles le couvrent et le remplissent de ténèbres. Ainsi nos inclinations et nos passions nous engagent dans un nombre infini d’erreurs lorsque nous suivons ce faux jour et cette lumière trompeuse qu’elles produisent en nous. On doit donc les considérer avec les trois facultés de l’esprit, comme des sources de nos égarements et de nos fautes, et joindre aux erreurs des sens, de l’imagination et de l’entendement pur celles que l’on peut attribuer aux passions et aux inclinations naturelles. Ainsi l’on peut rapporter toutes les erreurs des hommes et leurs causes à cinq chefs, et on les traitera selon cet ordre.

II. Premièrement, on parlera des erreurs des sens ; secondement, des erreurs de l’imagination ; en troisième lieu, des erreurs de l’entendement pur ; en quatrième lieu, des erreurs des inclinations ; en cinquième lieu, des erreurs des passions ; enfin, après avoir essayé de délivrer l’esprit des erreurs auxquelles il est sujet, on