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donnera une méthode générale pour se conduire dans la recherche de la vérité.

III. Nous allons commencer à expliquer les erreurs de nos sens, ou plutôt les erreurs où nous tombons en ne faisant pas l’usage que nous devrions faire de nos sens, et nous ne nous arrêterons pas tant aux erreurs particulières, qui sont presque infinies, qu’aux causes générales de ces erreurs et aux choses que l’on croit nécessaires pour la connaissance de la nature de l’esprit humain.


CHAPITRE V.
Des sens.
I. Deux manières d’expliquer comment nos sens sont corrompus par le péché. — II. Que ce ne sont pas nos sens, mais notre liberté qui est la véritable cause de nos erreurs. — III. Règle pour ne se point tromper dans l’usage de ses sens.


Quand on considère avec attention les sens et les passions de l’homme, on les trouve si bien proportionnés avec la fin pour laquelle ils nous sont donnés, qu’on ne peut entrer dans la pensée de ceux qui disent qu’ils sont entièrement corrompus par le péché originel. Mais, afin que l’on reconnaisse si c’est avec raison que l’on ne se rend pas à leur sentiment, il est nécessaire d’expliquer de quelle manière on peut concevoir l’ordre qui se trouvait dans les facultés et dans les passions de notre premier père pendant sa justice originelle, et les changements et les désordres qui y sont arrivés après son péché. Ces choses se peuvent concevoir en deux manières, dont voici la première.

I. Il semble que c’est une notion commune, qu’afin que les choses soient bien ordonnées, l’âme doit sentir de plus grands plaisirs à proportion de la grandeur des biens dont elle jouit. Le plaisir est un instinct de la nature, ou, pour parler plus clairement, c’est une impression de Dieu même qui nous incline vers quelque bien, laquelle doit être d’autant plus forte que ce bien est plus grand. Selon ce principe, il semble qu’on ne puisse douter que notre premier père, avant son péché et sortant des mains de Dien, ne trouvât plus de plaisir dans les biens les plus solides que dans les autres. Ainsi, puisque Dieu l’avait créé pour l’aimer, et que Dieu était son vrai bien, on peut dire que Dieu se faisait goûter à lui, qu’il le portait à son amour par un sentiment de plaisir, et qu’il lui donnait des satisfactions intérieures dans son devoir qui contre-balançaient les plus grands plaisirs des sens, lesquelles, depuis le péché, les hommes ne ressentent plus sans une grâce particulière.