Nous sommes raisonnables, et Dieu qui est notre bien ne veut pas de nous un amour aveugle, un amour d’instinct, un amour pour ainsi dire forcé ; mais un amour de choix, un amour éclairé, un amour qui lui assujettisse notre esprit et notre cœur. Il nous porte à l'aimer en nous faisant connaître par la lumière qui accompagne la délectation de sa grâce qu’il est notre bien ; mais il nous porte au bien du corps seulement par instinct et par un sentiment confus du plaisir, parce que le bien du corps ne mérite pas l’application de notre esprit ni l’usage de notre raison.
De plus, notre corps, n’est pas nous ; c’est une chose qui nous appartient, mais sans laquelle, absolument parlant, nous pouvons subsister. Le bien de notre corps n’est donc pas notre bien. Les corps ne peuvent être le bien que des corps. Nous pouvons en user pour notre corps, mais nous ne devons pas nous y attacher. Notre âme a aussi son bien. savoir ce bien seul qui est au-dessus d’elle, qui seul la conserve, et qui seul produit en elle des sentiments de plaisir ou de douleur. Car enfin tous les objets de nos sens sont par eux-mêmes incapables de se faire sentir ; et il n’y a que Dieu qui nous apprenne qu’ils sont présents, par les sentiments qu’il nous en donne. Et c’est ce que les philosophes païens ne comprenaient pas.
Nous pouvons et nous devons aimer ce qui est capable de nous faire sentir du plaisir, je l’avoue. Mais c’est par cette raison-là que nous ne devons aimer que Dieu, parce qu’il n’y a que Dieu qui puisse agir dans notre âme, et que les objets sensibles ne peuvent au plus que remuer les organes de nos sens. Mais qu’importe, direz vous, de quelle part viennent ces sentiments agréables ! je veux les goûter. Ingrat que vous êtes ! reconnaissez la main qui vous comble de biens. Vous exigez d’un Dieu juste des récompenses injustes ; vous voulez qu’il vous récompense pour des crimes que vous commettez contre lui, et dans le temps même que vous les commettez. Vous vous servez de sa volonté immuable, qui est l’ordre et la loi de la nature, pour arracher de lui des faveurs que vous ne méritez pas, car vous produisez avec une adresse criminelle, dans votre corps, des mouvements qui l’obligent à vous faire goûter de toutes sortes de plaisirs. Mais la mort corrompra ce corps ; et Dieu, que vous avez fait servir à vos injustes désirs, vous fera servir à sa juste colère, il se moquera de vous à son tour.
Il est vrai que c’est une chose bien fâcheuse que la possession du bien du corps soit accompagnée du plaisir, et que la possession du bien de l’âme soit souvent jointe à la peine et à la douleur. On peut croire que c’est un grand dérèglement, par cette raison que le plaisir étant le caractère du bien, comme la