douleur celui du mal, nous devrions sentir infiniment plus de douceur dans l’amour de Dieu que dans l’usage des choses sensibles, puisque Dieu est le vrai ou plutôt l’unique bien de l’esprit. Cela arrivera certainement un jour, et il y a quelque apparence que cela était ainsi avant le péché. Au moins est-il constant qu’avant le péché on ne sentait point de douleur dans l’exercice de son devoir.
Mais Dieu s’est retiré de nous depuis la chute du premier homme. Il n’est plus notre bien par nature, il ne l’est plus que par grâce ; car nous ne sentons plus naturellement de douceur dans son amour ; et bien loin de nous porter à l’aimer, il nous éloigne de lui. Si nous le suivons, il nous repousse ; si nous courons après lui, il nous frappe. Si nous nous opiniâtrons à le poursuivre, il continue de nous maltraiter, il nous fait souffrir des douleurs très-vives et très-sensibles. Mais lorsque, étant lassés de marcher dans les voies dures et pénibles de la vertu, sans être soutenus parle goût du bien ni fortifiés par quelque nourriture, nous nous repaissons des biens sensibles, il nous y attache par le goût du plaisir, et il semble qu’il nous veuille récompenser de ce que nous lui tournons le dos pour courir après ces faux biens. Enfin depuis le péché il semble que Dieu ne veuille plus que nous l’aimions, ni que nous pensions à lui, ou que nous le regardions comme notre seul et unique bien. Ce n’est que par la douceur de la grâce de notre médiateur JÉSUS-CHRIST que nous sentons que Dieu est notre bien : car le plaisir étant la marque sensible du bien, nous sentons que Dieu est notre bien ; puisque, par la grâce de JÉSUS-CHRIST, nous aimons Dieu avec plaisir.
Ainsi l’âme ne reconnaissant point son bien, ni par une vue claire ni par sentiment, sans la grâce de Jésus-Christ, elle prend le bien du corps pour le sien propre, elle l’aime et s’y attache encore plus étroitement par sa volonté, qu’elle n’y était attachée par la première institution de la nature. Car le bien du corps étant demeuré le seul qui se fasse maintenant sentir, il agit nécessairement sur l’homme avec plus de force. Le cerveau en est plus vivement frappé, et par conséquent l’àme le sent et l’imagine d’une manière plus touchante. Les esprits animaux en sont agités avec plus de violence, et par conséquent la volonté l’aime avec plus d’ardeur et plus de plaisir.
L’âme pouvait avant le péché effacer du cerveau l’image trop vive du bien du corps et faire évanouir le plaisir sensible qui accompagnait cette image. Le corps étant soumis à l’esprit, l’âme