Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/421

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délectation de la grâce. Les plaisirs des biens du corps ne sont point si grands que ceux qu’ils ressentent dans l’amour de Dieu. Ils aiment le mépris et la douleur, ils se nourrissent d’opprobre, et le plaisir qu’ils trouvent dans les souffrances, ou plutôt le plaisir qu’ils trouvent en Dieu lorsqu’ils méprisent tout le reste pour s’unir a lui, est si violent qu’il les transporte, qu’il leur fait parler un langage tout nouveau ; et qu’ils se glorifient même comme les apôtres dans leurs misères, et dans les injures qu’ils ont souffertes. Mais pour les apôtres ils sortirent du conseil, dit l’Écriture, tout remplis de joie de ce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus[1]. Telle est la disposition d’esprit des véritables chrétiens lorsqu’ils ont reçu les derniers affronts pour la défense de la vérité.

Jésus-Christ étant venu rétablir l’ordre que le péché avait renversé, et l’ordre demandant que les plus grands biens soient accompagnés des plaisirs les plus solides, il est visible que les choses doivent arriver comme on vient de le dire. Mais outre la raison nous avons encore l’expérience ; car dès qu’une personne forme seulement la résolution de mépriser tout pour Dieu. il est d’ordinaire touché d’un plaisir ou d’une joie intérieure qui lui fait sentir aussi vivement que Dieu est son bien, qu’il le connaissait clairement.

Les vrais chrétiens nous assurent tous les jours que la joie, qu’ils ont de n’aimer et de ne servir que Dieu, ne se peut exprimer, et il est bien juste de les croire touchant ce qui se passe dans eux-mêmes. Les impies au contraire sont toujours dans des inquiétudes mortelles ; et ceux que le monde partage avec Dieu, partagent aussi la joie des justes et les inquiétudes des impies. Ils se plaignent de leurs misères, et il est juste aussi de croire que leurs plaintes ne sont point sans fondement. Dieu blesse les hommes dans le fond de leur cœur lorsqu’ils aiment autre chose que lui, et c’est cette blessure qui fait la véritable misère. Il répand une joie excessive dans leurs esprits lorsqu’ils s’attachent uniquement à lui. et c’est cette joie qui fait la solide félicité. L’abondance des richesses et l’élévation des honneurs sont hors de nous, ils ne peuvent nous guérir lorsque Dieu nous blesse. La pauvreté et le mépris sont aussi hors de nous, et ils ne peuvent nous blesser lorsque Dieu nous défend.

Il est clair par les choses que nous venons de dire que l’objet de nos passions n’est point notre bien ; que nous ne devons en suivre les mouvements que pour la conservation de notre vie ; que le plai-

  1. Act. 5, 41.