Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/424

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bien différente de celle de Dieu. Ainsi, lorsque l’esprit voit la vérité, non-seulement il est uni à Dieu, il possède Dieu, il voit Dieu en quelque manière, il voit aussi en un sens la vérité comme Dieu la voit.

De même, lorsque l'on aime selon les règles de la vertu, on aime Dieu ; car lois qu’on aime selon ces règles, l’impression d’amour que Dieu produit sans cesse dans notre cœur pour nous tourner vers lui n’est point divertie par le libre arbitre ni changée en amour propre. L’esprit ne fait alors que suivre librement cette impression que Dieu lui donne. Or, Dieu ne lui donnant jamais d’impression qui ne tende vers lui, puisqu’il n’agit que pour lui, il est visible qu’aimer selon les règles de la vertu, c’est aimer Dieu.

Mais non-seulement c’est aimer Dieu ; c’est encore aimer comme Dieu aime. Dieu s’aime uniquement ; il n’aime ses ouvrages que parce qu’ils ont rapport à ses perfections, et il les aime à proportion qu’ils y ont rapport ; enfin c’est le même amour par lequel Dieu s’aime et les choses qu’il a faites. Aimer selon les règles de la vertu, c’est aimer Dieu uniquement, c’est aimer Dieu en toutes choses, c’est aimer les choses à proportion qu’elles participent à la bonté et aux perfections de Dieu, puisque c’est les aimer à proportion qu'elles sont aimables ; enfin c’est aimer par l’impression du même amour par lequel Dieu s’aime, car c’est l’amour par lequel Dieu s’aime et toutes choses par rapport à lui- qui nous anime lorsque nous aimons comme. nous devons aimer. Nous aimons donc alors comme Dieu aime.

Il est donc évident que la connaissance de la vérité et l’amour réglé de la vertu font toute notre perfection ; puisque ce sont les suites ordinaires de notre union avec Dieu, et qu’ils nous mettent même en possession de lui autant que nous en sommes capables en cette vie. L’aveuglement de l’esprit et le dérèglement du cœur font au contraire toute notre imperfection ; et ce sont aussi des suites de l’union de notre esprit avec notre corps, comme je l’ai prouvé en plusieurs endroits en faisant voir que nous ne connaissons jamais la vérité et que nous n’aimons jamais le vrai bien lorsque nous suivons les impressions de nos sens, de notre imagination et de nos passions.

Ces choses sont évidentes. Cependant les hommes, qui désirent tous avec ardeur la perfection de leur être, se mettent peu en peine d’augmenter l’union qu’ils ont avec Dieu, et ils travaillent sans csse à fortifier et à étendre celle qu’ils ont avec les choses sensibles. On ne peut trop expliquer la cause d’un si étrange dérèglement.