Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/428

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objet, que Dieu même connaît et produit ce monde sensible, duquel les corps reçoivent la vie comme les esprits vivent de l’autre.

Ceux qui ne suivent que les impressions de leurs sens et que les mouvements de leurs passions ne sont pas capables de goûter la vérité, parce qu’elle ne les flatte pas ; et les gens de bien qui s’opposent sans cesse à leurs passions lorsqu’elles leur présentent de faux biens, n’y résistent pas toujours lorsqu’elles leur cachent la vérité, ou lorsqu’elles la leur rendent méprisable ; parce qu’on peut être homme de bien sans être fort éclairé. Il n’est pas nécessaire pour être agréable à Dieu de savoir exactement que nos sens, notre imagination et nos passions nous représentent toujours les choses autrement qu’elles sont ; car enfin l’on ne voit pas que Jésus-Christ et les apôtres aient eu dessein de nous détromper de beaucoup d’erreurs que M. Descartes nous a découvertes sur cette matière.

Il y a bien de la différence entre la foi et l’intelligence, entre l’Évangile et la philosophie. Les hommes les plus grossiers sont capables de foi, et il y en a très-peu qui soient capables de la connaissance pure des vérités évidentes. La foi représente aux simples Dieu comme le créateur du ciel et de la terre, et cela suffit pour les porter à l’aimer et à le servir. La raison ne le considère pas seulement dans ses ouvrages, Dieu était ce qu’il est avant qu’il fût créateur ; elle tâche de l’envisager dans lui-même, ou par cette grande et vaste idée d’être infiniment parfait laquelle il renferme. Le Fils de Dieu, qui est la sagesse du Père, ou la vérité éternelle, s’est fait homme, et s’est rendu sensible pour se faire connaître aux hommes charnels et grossiers. Il les a voulu instruire par ce qui les aveuglait : il les a voulu porter à son amour et les détacher des biens sensibles par les mêmes choses qui les captivaient. Agissant avec des —fous, il s’est servi d’une espèce de folie pour les rendre sages. Ainsi les gens de bien et ceux qui ont le plus de foi n’ont pas toujours le plus d’intelligence. Ils peuvent connaître Dieu par la loi, et l’aimer, par le secours de la grâce, sans savoir qu’il est leur tout de la manière dont les philosophes peuvent l’entendre, et sans penser que la connaissance abstraite de la vérité soit une espèce d’union avec lui. Il ne faut donc pas être surpris s’il y a si peu de personnes qui travaillent à fortifier l’union naturelle qu’ils ont avec Dieu par la connaissance de la vérité, puisqu’il est nécessaire pour cela de combattre sans cesse contre les impressions des sens et des passions d’une manière bien différente de celle qui est familière aux personnes les plus vertueuses ; car les plus gens de