Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien ne sont pas toujours persuadés que les sens et les passions sont trompeurs en la manière que nous avons expliquée dans les livres précédents.

Il n’y a que les sentiments ou les pensées auxquelles le corps a quelque part qui causent immédiatement les passions, parce qu’il n’y a que Fébranlement des libres du cerveau qui excite quelque émotion particulière dans les esprits animaux. Ainsi il n’y a que les sentiments qui convainquent sensiblement que l’on tient à certaines choses pour lesquelles ils excitent de l’amour. Or l’on ne sent point l’union naturelle qu’on a avec Dieu lorsqu’on connaît la vérité ; on ne pense pas même à lui ; car il est et opère en nous d’une manière si secrète et si insensible que nous ne nous en apercevons pas. L’union que nous avons naturellement avec Dieu n’excite donc point notre amour pour lui. Mais il n’en est pas de même de l’union que nous avons avec les choses sensibles. Tous nos sentiments prouvent cette union : les corps nous frappent la vue lorsqu’ils agissent en nous, leur action n’a rien de caché. Notre propre corps nous est même plus présent que notre esprit, et nous le considérons comme la meilleure partie de nous-mêmes. Ainsi l’union que nous avons avec notre corps, et par notre corps, à tous les objets sensibles, excite en nous un amour violent qui augmente cette union, et qui nous rend dépendants des choses qui sont infiniment au-dessous de nous.


CHAPITRE VI.
Des erreurs les plus générales des passions ; quelques exemples particuliers.


C’est à la morale à découvrir toutes les erreurs particulières dans lesquelles nos passions nous engagent touchant le bien ; c’est à elle à combattre les amours déréglés, à rétablir la droiture du cœur, à régler les mœurs. Mais ici notre fin principale est de régler l’esprit, et de découvrir les causes de nos erreurs à l’égard de la vérité : ainsi nous ne pousserons pas davantage les choses que nous venons de dire, qui ne regardent que l’amour du vrai bien. Nous allons à l’esprit, et nous ne passons par le cœur que parce que le cœur en est le maître. Nous recherchons la vérité en elle-même et sans rapport à nous ; et nous ne considérons le rapport qu’elle a avec nous que parce que ce rapport est cause que l’amour-propre nous la cache et nous la déguise ; car nous jugeons de toutes choses selon nos passions, et par conséquent nous nous trompons en toutes choses, les jugements des passions n’étant jamais d’accord avec les jugements de la vérité.