Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/459

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possession du bien produit la joie, je ne l’entends pas seulement de la possession ou de l’union immédiate, mais de toute autre, car nous sentons naturellement de la joie lorsqu’il arrive quelque bonne fortune à ceux que nous aimons.

Le mal, comme j’ai déjà dit, se peut prendre en trois manières : ou pour la privation du bien, ou pour la douleur, ou enfin pour la chose qui cause la privation du bien ou qui produit la douleur.

Dans le premier sens, l’idée du mal étant la même que l’idée d’un bien que l’on ne possède pas, il est visible que cette idée produit la tristesse, ou le désir, ou même la joie, car la joie s’excite toujours lorsqu’on se sent privé de la privation du bien, c’est-à-dire lorsqu’on possède le bien. De sorte que les passions qui regardent le mal pris en ce sens sont les mêmes que celles qui ringardent le bien, parce qu’en effet elles ont aussi le bien pour leur objet.

Que si par le mal on entend la douleur, laquelle seule est toujours un mal réel á celui qui la soulfre dans le temps qu’il la souffre, alors le sentiment de ce mal produit les passions de tristesse et de désir de l’anéantissement de ce mal, passions qui sont des espèces d’aversion et non d’amoμr, car leur mouvement est entièrement opposé à celui qui accompagne la vue du bien, ce mouvement n’étant que l’opposition de l’âme qui résiste à l’impression naturelle, c’est-à-dire un mouvement dont le terme est le néant.

Le sentiment actuel de la douleur produit une aversion de tristesse.

La douleur que l’on ne souffre pas, mais que l’on craint de souffrir, produit une aversion de désir dont le terme est le néant de cette douleur.

Enñn, la douleur que l’on ne souffre pas et que l’on ne craint point de souffrir, ou, ce qui fait le même effet, la douleur que l’on n’appréhende point de souffrir sans quelque grande récompense, ou la douleur dont on se sent délivré, produit une aversion de joie. Ce sont là les trois passions simples ou primitives qui ont le mal pour objet, car la crainte qui produit la tristesse n’est point une émotion de l’âme, mais un simple jugement.

Enfin, si par le mal on entend la personne ou la chose qui nous prive du bien ou qui nous fait souffrir de la douleur, l’idée du mal produit un mouvement d’amour et d’aversion tout ensemble, ou simplement un mouvement d’aversion. L’idée du mal produit un mouvement d’amour et d’aversion tout ensemble, lorsque le mal est ce qui nous prive du bien, car c’est par un même mouvement que l’on tend vers le bien et que l’on s’éloigne de ce qui en empê-