Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque le faux zèle se joint à la haine, il la met à couvert des reproches de la raison, et il la justifie de telle manière qu’on ferait même scrupule de n’en pas suivre les mouvements. Et lorsque l’ignorance et la faiblesse accompagnent la crainte, elles l’étendent à une infinité de sujets, et elles en fortifient de telle sorte les émotions, que le moindre soupçon effarouche et trouble la raison.

Les faux zélés s’imaginent rendre service à Dieu lorsqu’ils obéissent à leurs passions. Ils suivent aveuglément les inspirations secrètes de leur haine comme des inspirations de la vérité intérieure ; et s’arrêtant avec plaisir aux preuves de sentiment qui justifient leur excès, ils se confirment dans leurs erreurs avec une opiniâtreté insurmontable.

Pour les ignorants et les esprits faibles, ils se font des sujets de crainte imaginaires et ridicules. Ils ressemblent aux enfants qui marchent dans les ténèbres sans guide et sans flambeau ; ils se figurent des spectres épouvantables, ils se troublent et se récrient comme si tout était perdu. La lumière les rassure s’ils sont ignorants ; mais si ce sont des esprits faibles, leur imagination en demeure toujours blessée. La moindre chose qui a quelque rapport à ce qui les a effrayés renouvelle les traces et le cours des esprits qui causent le symptôme de leur crainte. Il est absolument impossible de les guérir ou de les apaiser pour toujours.

Mais lorsque le faux zèle se rencontre avec la haine et la crainte dans un esprit faible, il se produit sans cesse dans cet esprit des jugements si injustes et si violents, qu’on ne peut y penser sans horreur. Pour changer un esprit possédé de ces passions, il faut un plus grand miracle que celui qui convertit saint Paul, et sa guérison serait absolument impossible si l’on pouvait donner des bornes à la puissance et à la miséricorde de Dieu.

Ceux qui marchent dans l’obscurité se réjouissent à la vue de la lumière ; celui-ci ne la peut souffrir. Elle le blesse, car elle résiste à sa passion. Sa crainte étant en quelque façon volontaire à cause que sa haine la produit, il se plaît d’en être frappé, parce qu’on se plaît d’être agité des passions mêmes qui ont le mal pour objet loisque le mal est imaginaire, ou plutôt lorsque l’on sait, comme dans spectacles, que le mal ne peut nous blesser.

Les fantômes que se figurent ceux qui marchent dans les ténèbres s’évanouissent à la lumière d’un flambeau, mais les fantômes de celui-ci ne se dissipent point à la lumière de la vérité. Elle ne peut pas facilement percer les ténèbres de son esprit, elle ne fait qu’irriter son imagination ; de sorte que, comme il s’applique uniquement à l’objet de sa passion, la lumière se réfléchit, et il semble