Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/473

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l’esprit des secousses imprévues qui l’étourdissent et qui le troublent ; elles pénètrent bientôt jusque dans le plus secret de l’âme, et renversant la raison de son siège, elles prononcent sur toutes sortes de sujets des jugements d’erreur et d’iniquité pour favoriser leur folie et leur tyrannie.

De toutes les passions ce sont les plus cruelles et les plus défiantes, les plus contraires à la charité et à la société civile, et en même temps les plus ridicules et les plus extravagantes, car elles forment des jugements si impertinents et si bizarres, qu’ils excitent la risée et l’indignation de tous les hommes.

Ce sont ces passions qui mettaient dans la bouche des pharisiens ces discours extravagants : Que faisons-nous ? Cet homme fait plusieurs miracles. Si nous le laissons continuer, tout le monde croíra en lui[1], les Romains viendront et ruineront noire ville et notre nation. Ils tombaient d’accord que Jésus-Christ faisait plusieurs miracles. la résurrection de Lazare était incontestable. Quel était cependant le jugement de leurs passions ? De faire mourir Jésus-Christ et Lazare même qu’il avait ressuscité. Mais pour quelle raison faire mourir Jésus-Christ ? parce que si nous le laissons continuer, tout le monde croira en lui, les Romains viendront et ruineront notre ville et notre nation. Et pourquoi vouloir donner la mort à Lazare ? Parce que plusieurs Juifs se retiraient d’avec eux à cause de lui, et croyaient en Jésus[2]. Jugements cruels et extravagants tout ensemble : cruels par la haine et extravagants par la crainte, les Romains viendront et ruineront notre ville et notre nation.

Ce sont ces mêmes passions qui faisaient dire à une assemblée composée d’Anne le grand-prêtre, de Caïphe, Jean, Alexandre, et de tous ceux qui étaient de la race sacerdotale : Que ferons-nous à ces gens-ci ? car ils ont fait un miracle qui est connu de toute la ville, nous ne pouvons pas le nier. Mais afin que cela ne se répande pas davantage parmi le peuple. menaçons-les de les punir s’ils continuent d’enseigner au nom Je Jésus[3].

Tous ces grands hommes prononcent un jugement injuste et impertinent tout ensemble, parce que leurs passions les agitent et que leur faux zèle les aveugle. Ils n’osent punir les apôtres à cause du peuple, et parce que l’homme qui avait été miraculeusement guéri avait plus de quarante ans et était présent à l’assemblée, mais ils les menacent pour les empêcher d’enseigner au nom de Jésus. Ils s’imaginent devoir condamner une doctrine à cause qu’ils en ont fait mourir l’auteur. Vous voulez, disent-ils aux apôtres, nous charger du sang de cet homme[4].

  1. Joan. c. 11, 47.
  2. Joan. c. 24, 11.
  3. Act. c. 4.
  4. Act. c. 6.