Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/481

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dans les perceptions et qu’elle n’est pas même intelligible. Car enfin l’erreur ou la fausseté n’est qu’un rapport qui n’est point, et ce qui n’est point n’est ni visible ni intelligible. On peut voir que 2 fois 2 font 4 ou que 2 fois 2 ne font pas 5 ; car il y a réellement un rapport d’égalité entre 2 fois 2 et 4 et un d’inégalité entre 2 fois 2 et 5 ; ainsi la vérité est intelligible. Mais on ne verra jamais que 2 fois 2 soient 5, car il n’y a point là de rapport d’égalité ; et ce qui n’est point ne peut être aperçu. L’erreur, comme nous avons déjà dit plusieurs fois, ne consiste donc que dans un consentement précipité de la volonté, qui se laisse éblouir à quelque fausse lueur, et qui, au lieu de conserver sa liberté autant qu’elle le peut, se repose avec négligence dans l’apparence de la vérité.

Néanmoins, parce qu’il arrive d’ordinaire que l’entendement n’a que des perceptions confuses et imparfaites des choses, il est véritablement une cause de nos erreurs que l’on peut appeler occasionnelle ou indirecte ; car de même que la vue corporelle nous jette souvent dans l’erreur parce qu’elle nous représente les objets de dehors confusément et imparfaitement ; confusément, lorsqu’ils sont trop éloignés de nous ou faute de lumière ; et imparfaitement, parce qu’elle ne nous représente que les côtés qui sont tournés vers nous ; ainsi l’entendement n’ayant souvent qu’une perception confuse et imparfaite des choses, parce qu’elles ne lui sont pas assez présentes et qu’il n’en découvre pas toutes les parties, il est cause que la volonté tombe dans un grand nombre d’erreurs en se rendant trop facilement à ces perceptions obscures et imparfaites.

Il est donc nécessaire de chercher les moyens d’empêcher que nos perceptions ne soient confuses et imparfaites. Et parce qu’il n’y a rien qui les rende plus claires et plus distinctes que l’attention. comme tout le monde en est convaincu, il faut tâcher de trouver des moyens dont. nous puissions nous servir pour devenir plus attentifs que nous ne sommes. C’est ainsi que nous pourrons conserver l’évidence dans nos raisonnements, et voir même tout d’une vue une liaison nécessaire entre toutes les parties de nos plus longues déductions.

Pour trouver ces moyens, il est nécessaire de se bien convaincre de ce que nous avons déjà dit ailleurs, que l’esprit n’apporte pas une égale attention à toutes les choses qu’il aperçoit ; car il s’applique infiniment plus à celles qui le touchent, qui le modifient et qui le pénètrent, qu’à celles qui lui sont présentes, mais qui ne le touchent pas et qui ne lui appartiennent pas ; en un mot, il s’occupe beaucoup plus de ces propres modifications que des simples