Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/482

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idées des objets, lesquelles idées sont quelque chose de différent de lui-même.

C’estpour cela que nous ne considérons qu’avec dégoût et sans beaucoup d’application les idées abstraites de l’entendement pur ; que nous nous appliquons beaucoup davantage aux choses que nous imaginons : principalement lorsque nous avons l’imagination forte et qu’il se trace de grands vestiges dans notre cerveau. Enfin c’est à cause de cela que nous nous occupons entièrement des qualités sensibles sans pouvoir même nous appliquer aux idées pures de l’esprit dans le temps que nous sentons quelque chose de fort agréable ou de fort pénible. Car la douleur, le plaisir et les autres sensations n”étant que des manières d”ètre de l’esprit, il n’est pas possible que nous soyons sans les apercevoir et que la capacité de notre esprit n’en soit occupée, puisque toutes nos sensations ne sont que des perceptions et rien autre chose.

Mais il n’en est pas de même des idées pures de l’esprit : nous pouvons les avoir intimement unies à notre esprit sans les considérer avec la moindre attention ; car encore que Dieu soit très-intimement uni à nous et que ce soit dans lui que se trouvent les idées de tout ce que nous voyons, cependant ces idées, quoique présentes et au milieu de nous-mêmes, nous sont cachées lorsque les mouvements des esprits n’en réveillent point les traces, ou lorsque notre volonté n’y applique pas notre esprit, c’est-à-dire lorsqu’elle ne forme point les actes auxquels la représentation de ces idées est attachée par l’auteur de la nature. Ces choses sont le fondement de tout ce que nous allons dire des secours qui peuvent rendre notre esprit plus attentif. Ainsi ces secours seront appuyés sur la nature même de l’esprit, et il y a lieu d’espérer qu’ils ne seront pas chimériques et inutiles, comme beaucoup d’autres, qui embarrassent beaucoup plus qu’ils ne servent. Mais enfin s’ils n’ont pas tout l’usage que l’on souhaite, on ne perdra pas tout à fait son temps à lire ce que l’on en dira, puisqu’on en connaîtra mieux la nature de son esprit.

Les modifications de l’âme ont trois causes, les sens, l’imagination et les passions. Tout le monde sait par sa propre expérience que les plaisirs, les douleurs et généralement toutes les sensations un peu fortes, que les imaginations vives et que les grandes passions occupent si fort l’esprit qu’il n’est pas capable d’attention dans le temps que ces choses le touchent trop vivement, parce qu’alors sa capacité ou sa faculté d’apercevoir en est toute remplie. Mais quand même ces modifications seraient modérées, elles ne laisseraient pas de partager, du moins en quelque sorte, cette