Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/485

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saient point étourdir par des désirs ardents de paraître inventeurs. Car la persuasion ferme et obstinée où ont été plusieurs personnes qu’ils avaient trouvé par exemple le mouvement perpétuel, le moyen d’égaler le cercle au carré et celui de doubler le cube par la géométrie ordinaire, leur est venue apparemment du grand désir qu’ils avaient de paraître avoir exécuté ce que plusieurs personnes avaient tenté inutilement.

Il est donc bien plus à propos de s’exciter à des passions qui sont d’autant plus utiles pour la recherche de la vérité qu’elles sont plus fortes, et dans lesquelles l’excès est peu à craindre, comme sont les désirs de faire bon usage de son esprit, de se délivrer de ses préjugés et de ses erreurs, d’acquérir assez de lumière pour se conduire dans l’état dans lequel on est, et d’autres passions semblables qui ne nous engagent point dans des études inutiles, et qui ne nous portent point il faire des jugements trop précipités.

Quand on a commencé à goûter le plaisir qui se trouve dans l’usage de l’esprit, qu’on a reconnu l’utilité qui en revient et qu’on s’est défait des grandes passions et dégoûté des plaisirs sensibles, qui sont toujours, lorsqu’on s’y abandonne indiscrètement, les maîtres ou plutôt les tyrans de la raison ; l’on n’a pas besoin d’autres passions que de celles dont on vient de parler pour se rendre attentif aux sujets que l’on veut méditer.

Mais la plupart des hommes ne sont point dans cet état : ils n’ont du goût, de l’intelligence, de la délicatesse que pour ce qui touche les sens. Leur imagination est corrompue d’un nombre presque infini de traces profondes qui ne réveillent que de fausses idées ; car ils tiennent à tout ce qui tombe sous les sens et sous l’imagination, et ils en jugent toujours selon l’impression qu’ils en reçoivent, c’est-à-dire par rapport à eux. L’orgueil, la débauche, les engagements, les désirs inquiets de faire quelque fortune, si communs dans les gens du monde, obscurcissent en eux la vue de la vérité comme ils étouffent en eux les sentiments de piété, parce qu’ils les séparent de Dieu, qui seul peut nous éclairer comme il peut seul nous régler. Car nous ne pouvons augmenter notre union avec les choses sensibles sans diminuer celle que nous avons avec les vérités intelligibles. puisque nous ne pouvons dans un même temps être unis étroitement à des choses si différentes et si opposées.

Ceux donc qui ont l’imagination pure et chaste, je veux dire dont le cerveau n’est point rempli de traces profondes qui attachent aux choses visibles, peuvent facilement s’unir à Dieu et se rendre attentifs à la vérité qui leur parle ; ils peuvent se passer des secours qu’on tire des passions. Mais ceux qui sont dans le grand monde,