Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/505

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mais simplement que nous ne pensons pas à quelque chose en particulier.

Certainement, si cette idée ne remplissait pas notre esprit, nous ne pourrions pas penser à toutes sortes de choses, comme nous le pouvons ; car enfin on ne peut penser aux choses dont on n’a aucune connaissance. Et si cette idée n’était pas plus présente à l’esprit lorsqu’il nous semble que nous ne pensons à rien que lorsque nous pensons à quelque chose en particulier, nous aurions autant de facilité à penser à ce que nous voudrions lorsque nous sommes fortement appliqués à quelque vérité particulière que lorsque nous ne sommes appliqués à rien, ce qui est contre l’expérience. Car, par exemple, lorsque nous sommes fortement appliqués à quelque proposition de géométrie, nous n’avons pas tant de facilité à penser à toutes choses que lorsque nous ne sommes occupés d’aucune pensée particulière. Ainsi, on pense davantage à l’être général et infini quand on pense moins aux êtres particuliers et finis ; et l’on pense toujours autant en un temps qu’en un autre.

On ne peut donc augmenter l’étendue et la capacité de l’esprit en l’enflant, pour ainsi dire, et en lui donnant plus de réalité qu’il n’en a naturellement, mais seulement en la ménageant avec adresse ; ce qui se fait parfaitement par l’arithmétíque et par l’algèbre. Car ces sciences apprennent le moyen d’abréger de telle sorte les idées et de les considérer dans un tel ordre, qu’encore que l’esprit ait peu d’étendue, il est capable, par le secours de ces sciences, de découvrir des vérités très-composées et qui paraissent d’abord incompréhensibles. Mais il faut prendre les choses dans leur principe pour les expliquer avec plus de solidité et de lumière.

La vérité n’est autre chose qu’un rapport réel, soit d’égalité, soit d’inégalíté. La fausseté n’est que la négation de la vérité, ou un rapport faux et imaginaire. La vérité est ce qui est. La faussetè n’est point ; ou, si on le veut, elle est ce qui n’est point. On ne se trompe jamais lorsqu’on voit les rapports qui sont, puisqu’on ne se trompe jamais lorsqu’on voit la vérité. On se trompe toujours quand on juge qu’on voit certains rapports et que ces rapports ne sont point ; car alors on voit la fausseté, on voit ce qui n’est point, ou plutôt on ne voit point, puisque le néant n’est pas visible et que le faux est un rapport qui n’est point. Quiconque voit le rapport d’égalité entre deux fois deux et quatre, voit une vérité, parce qu’il voit un rapport d’égalité qui est tel qu’il le voit. De même. quiconque voit un rapport d’inégalité entre deux fois 2 et 5, voit une vérité, parce qu’il voit un rapport d’inégalité qui est. Mais qui-