Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/523

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c’est une loi immuable que les choses inférieures servent aux supérieures. C’est pour ces raisons que ce grand saint reconnaît que le corps ne peut agir sur l’âme[1], et que rien ne peut être au-dessus de l’âme que Dieu[2].

Dans les saintes Écritures, lorsque Dieu prouve aux Israélites qu’ils doivent l’adorer, c’est-à-dire qu’ils doivent le craindre et l’aimer, les principales raisons qu’il apporte sont tirées de sa puissance pour les récompenser et pour les punir. Il leur représente les bienfaits qu’ils ont reçus de lui, les maux dont il les a châtiés, et qu’il a encore la même puissance. Il leur défend d’adorer les dieux des païens, parce qu’ils n’ont aucune puissance sur eux et qu’ils ne peuvent leur faire ni bien ni mal. Il veut que l’on n’honore que lui, parce qu’il n’y a que lui qui soit la véritable cause du bien et du mal, et qu’il n’en arrive point dans leur ville, selon un prophète[3], qu’il ne fasse lui-même ; parce que les causes naturelles ne sont point les véritables causes du mal qu’elles semblent nous faire, en que, comme c’est Dieu seul qui agit en elles, c’est lui seul qu’il faut craindre et qu’il faut aimer en elle : Soli Deo honor et gloria.

Enfin, ce sentiment qu’on doit craindre et qu’on doit aimer ce qui peut être véritable cause du bien et du mal, paraît si naturel et si juste qu’il n’est pas possible de s’en défaire. De sorte que, si l’on suppose cette fausse opinion des philosophes, et que nous tâchons ici de détruire, que les corps qui nous environnent sont les véritables causes des plaisirs et des maux que nous sentons, la raison semble en quelque sorte justifier une religion semblable à celles des païens, et approuver le dérèglement universel des mœurs. Il est vrai que la raison n’enseigne pas qu’il faille adorer les oignons et les poireaux, par exemple, comme la souveraine divinité, parce qu’ils ne peuvent nous rendre entièrement heureux lorsque nous en avons, ou entièrement malheureux lorsque nous n’en avons point. Aussi les païens ne leur ont jamais rendu tant d’honneur qu’au grand Jupiter, duquel toutes leurs divinités dépendaient ; ou qu’au soleil, que nos sens nous représentent comme la cause universelle qui donne la vie et le mouvement à toutes choses, et que l’on ne peut s’empêcher de regarder comme une divinité, si l’on suppose avec les philosophes païens qu’il renferme dans son être les causes véritables de tout ce qu’il semble produire non-seulement dans notre corps et sur notre esprit, mais encore dans tous les êtres qui nous environnent.

Mais si l’on ne doit pas rendre un honneur souverain aux poi-

  1. Mus., livre 6, ch. 5.
  2. Voyez le trente-quatrième chapitre de S. Aug. De quantitate animœ.
  3. Amos, c. 3, 6.