Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/530

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gination et notre esprit ne doivent point s’abattre devant la grandeur et la puissance imaginaire des causes qui ne sont point causes ; qu’il ne faut ni les aimer, ni les craindre ; qu’il ne faut point s’en occuper ; qu’il ne faut penser qu’à Dieu seul, voir Dieu en toutes choses, adorer Dieu en toutes choses, craindre et aimer Dieu en toutes choses.

Mais ce n’est pas là l’inclination de quelques philosophes, ils ne veulent point voir Dieu, ils ne veulent point penser à Dieu ; car depuis le péché il y a une secrète opposition entre l’homme et Dieu. Ils prennent plaisir à se fabriquer des dieux à leur fantaisie, et ils aiment et craignent volontiers les fictions de leur imagination, comme les païens les ouvrages de leurs mains. Ils sont semblables aux enfants qui tremblent devant leurs compagnons après les avoir barbouillés. Ou si l’on veut une comparaison plus noble, quoiqu’elle ne soit peut-être pas si juste, ils ressemblent à ces fameux Romains qui avaient de la crainte et du respect pour les fictions de leur esprit, et qui adoraient sottement leurs empereurs après avoir lâché l’aigle dans leurs apothéoses.


CHAPITRE IV.


Explication de la seconde partie de la règle générale. Que les philosophes ne l’observent point, et que M. Descartes l’a fort exactement observée.


On vient de faire voir dans quelles erreurs on est capable de tomber, lorsqu’on raisonne sur les idées fausses et confuses des sens, et sur les idées vagues et indéterminées de la pure logique. Par là l’on reconnaît assez que, pour conserver l’évidence dans ses perceptions, il est absolument nécessaire d’observer exactement la règle que nous venons de prescrire, et d’examiner quelles sont les idées claires et distinctes des choses, afin de ne raisonner que suivant ces idées.

Dans cette même règle générale qui regarde le sujet de nos études, il y a encore cette circonstance à bien remarquer, savoir, que nous devons toujours commencer par les choses les plus simples et les plus faciles, et nous y arrêter même long-temps avant que d’entreprendre la recherche des plus composées et des plus difficiles. Car, si l’on ne doit raisonner que sur des idées distinctes, pour conserver toujours l’évidence dans ses perceptions ; il est clair qu’il ne faut jamais passer à la recherche des choses composées, avant que d’avoir examiné avec beaucoup de soin et s’être rendu fort familières les simples dont elles dépendent : puisque les idées