Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/531

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des choses composées ne sont point claires et ne peuvent l’être, lorsqu’on ne connaît que confusément et qu’imparfaitement les plus simples qui les composent.

On connaît les choses imparfaitement, lorsqu’on n’est point assuré que l’on en a considéré toutes les parties ; et on les connaît confusément, lorsqu’elles ne sont point assez familières à l’esprit, quoique l’on soit assuré que l’on en a considéré toutes les parties. Lorsqu’on ne les connaît qu’imparfaitement, on ne fait que des raisonnements vraisemblables. Lorsqu’on les aperçoit confusément, il n’y a point d’ordre ni de lumière dans les déductions ; on ne sait souvent où l’on est et où l’on va. Mais lorsqu’on les connaît imparfaitement et confusément tout ensemble, ce qui est le plus ordinaire, on ne sait jamais clairement ni ce qu’on recherche, ni les moyens de le rencontrer. De sorte qu’il est absolument nécessaire de garder cet ordre inviolablement dans ses études : de commencer toujours par les choses les plus simples, en examiner toutes les parties, et se les rendre fmnílières avant que de passer aux plus composées dont elles dépendent.

Mais cette règle ne s’accorde point avec l’inclination des hommes, ils ont naturellement du mépris pour tout ce qui paraît facile ; et leur esprit, qui n’est pas fait pour un objet borné et qu’il soit aisé de comprendre, ne peut s’arrêter long-temps à la considération de ces idées simples, qui n’ont point le caractère de l’intini pour lequel ils sont faits. Ils ont, au contraire, et par la même raison, beaucoup de respect et d’empressement pour les choses grandes et qui tiennent de l’infini, et même pour celles qui sont obscures et mystérieuses. Ce n’est pas dans le fond quiils aiment les ténèbres ; mais e’est qu’ils espèrent trouver dans les ténèbres le bien qu’ils désirent, et qu’au grand jour ils reconnaissent qu’il ne se trouve point ici-bas.

La vanité donne aussi beaucoup de branle aux esprits pour les jeter d’abord dans le grand et l’extraordinaire, et une sotte espérance de bien rencontrer les y fait courir. L’expérience apprend que la connaissance la plus exacte des choses ordinaires ne donne point de réputation dans le monde, et que la connaissance des choses peu communes, quelque confuse et imparfaite qu’elle puisse être, attire toujours l’estime et le respect de ceux qui se font volontiers une haute idée de ce qu’ils n’entendent pas. Et cette expérience détermine tous ceux qui sont plus sensibles à la vanité qu’à la vérité, et par conséquent la plupart des hommes, à une recherche aveugle de ces connaissances spécieuses et imaginaires de tout ce qui est grand. rare et obscur.