Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/533

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barbe purge la bile et le sel polychreste les phlegmes ? et à d’autres questions semblables. Et la plupart des hommes sont assez satisfaits de leurs réponses, parce que l’obscur et l’incompréhensible s’accommodent bien l’un avec l’autre. Mais les principes incompréhensibles ne s’accommodent pas facilement avec les questions que l’on expose clairement, et qu’il est facile de résoudre ; parce qu’on reconnaît évidemment qu’ils ne signifient rien. Les philosophes ne peuvent, par leurs principes, expliquer comment des chevaux tirent un chariot, comment la poussière arrête une montre, comment le tripoli nettoie les métaux et les brosses les habits. Car ils se rendraient ridicules à tout le monde, s’ils supposaient un mouvement d’attraction et des facultés attractrices, pour expliquer d’où vient que les chariots suivent les chevaux qui y sont attelés, et une faculté détersive dans des brosses pour nettoyer des habits. et ainsi des autres questions. De sorte que leurs grands principes ne sont utiles que pour les questions obscures, parce qu’ils sont incompréhensibles.

Il ne faut donc point s’arrêter à aucun de tous ces principes, que l’on ne connaît point clairement et évidemment, et que l’on peut penser que quelques nations ne reçoivent pas. Il faut considérer avec attention les idées que l’on a d’étendue, de figure et de mouvement local, et les rapports que ces choses ont entre elles. Si on conçoit distinctement ces idées, et si on les trouve si claires qu’on soit persuadé que toutes les nations les ont reçues dans tous les temps, il faut s’y arrêter et en examiner tous les rapports ; mais si on les trouve obscures, il en faut chercher d’autres, si l’on en peut trouver. Car si, pour raisonner sans crainte de se tromper, il est nécessaire de conserver toujours l’évidence dans ses perceptions, il ne faut raisonner que sur des idées claires et sur leurs rapports clairement connus.

Pour considérer par ordre les propriétés de l’étendue, il faut, comme a fait M. Descartes, commencer par leurs rapports les plus simples, et passer des plus simples aux plus composés, non seulement parce que cette manière est naturelle et qu’elle aide l’esprit dans ces opérations, mais encore parce que Dieu agissant toujours avec ordre et par les voies les plus simples, cette manière d’examiner nos idées et leurs rapports nous fera mieux connaître ses ouvrages. Et si l’on considère que les rapports les plus simples sont toujours ceux qui se présentent les premiers à l’imagination. lorsqu’elle n’est point déterminée à penser plutôt à une chose qu’a une autre, on reconnaîtra qu’il suíïit de regarder les choses aver attention et sans préoccupation, pour entrer dans cet ordre que