Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/544

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de lui-même, tel que nous le voyons aujourd’hui. A cela on peut donner plusieurs réponses.

La première, que ceux qui disent que M. Descartes est contraire à Moïse n’ont peut-être pas tant examiné l’Écriture-sainte et Descartes, que ceux qui ont fait voir par leurs écrits publics que la création du monde s’accommode parfaitement avec les sentiments de ce philosophe.

Mais la principale est que M. Descartes n’a jamais prétendu que les choses se soient faites peu à peu comme il les décrit. Car dans le premier article de la quatrième partie de sa philosophie, qui est, que, pour trouver les vraies causes de ce qui est sur la terre, il faut retenir l'hypothèse déjà prise nonobstant qu’elle soit fausse, il dit positivement le contraire en ces termes :

« Bien que je ne veuille point qu’on se persuade que les corps qui composent ce monde visible aient jamais été produits en la façon que j’ai décrite, ainsi que j'ai ci-dessus averti, je suis néanmoins obligé de retenir ici la même hypothèse pour expliquer ce qui est sur la terre, afin que si je montre évidemment, ainsi que j’espère faire, qu’on peut par ce moyen donner des raisons très-intelligibles et certaines de toutes les choses qui s’y remarquent, et qu’on ne puisse faire le semblable par aucune autre invention, nous ayons sujet de conclure que, bien que le monde n’ait pas été fait au commencement en cette façon, et qu’il ait été immédiatement créé de Dieu, toutes les choses qu’il contient ne laissent pas d’être maintenant de même nature que si elles avaient été ainsi produites. »

Descartes savait que pour bien comprendre la nature des choses, il les fallait considérer dans leur origine et dans leur naissance ; qu’il fallait toujours commencer par celles qui sont les plus simples et aller d’abord au principe ; qu’il ne fallait point se mettre en peine si Dieu avait formé ses ouvrages peu à peu par les voies les plus simples ou s’il les avait produits tout d’un coup ; mais, de quelque manière que Dieu les eût formés, que, pour les bien connaître, il fallait les considérer d’abord dans leurs principes, et prendre garde seulement dans la suite si ce qu’on avait pensé s’accordait avec ce que Dieu avait fait. Il savait que les lois de la nature, par lesquelles Dieu conserve tous ses ouvrages dans l’ordre et la situation où ils subsistent, sont les mêmes lois que celles par lesquelles il a pu les former et les arranger ; car il est évident à tous ceux qui considèrent les choses avec attention, que si Dieu n’avait pas arrangé tout d’un coup son ouvrage de la manière qu’il se serait arrangé avec le temps, tout l’ordre de la nature se ren-