Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/545

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verserait, puisque les lois de la conservation seraient contraires à celles de la première création. Si tout l’univers demeure dans l’ordre où nous le voyons, c’est que les lois des mouvements qui le conservent dans cet ordre eussent été capables de l’y mettre. Et si Dieu les avait mis dans un ordre différent de celui où elles se fussent mises par ces lois du mouvement, toutes choses se renverseraient et se mettraient, par la force de ces lois, dans l’ordre ou nous les voyons présentement.

Un homme veut découvrir la nature d’un poulet : pour cela il ouvre tous les jours des œufs qu’il a mis couver ; il y examine ce qui se meut et ce qui croît le premier ; il voit bientôt que le cœur commence à battre et à pousser de tous côtés des canaux de sang qui sont les artères, que ce sang retourne vers le cœur par les veines, que le cerveau paraît aussi d’abord, et que les os sont les dernières parties qui se forment. Il se délivre par là de beaucoup d’erreurs, et il tire même de ces observations plusieurs conséquences d’un très-grand usage pour la connaissance des animaux. Que peut-on trouver à redire dans la conduite de cet homme ? Peut-ou dire qu’il prétende persuader que Dieu a formé le premier poulet en créant d’abord un œuf et en lui donnant un certain degré de chaleur pour le faire éclore, à cause qu’il tâche de découvrir la nature des poulets dans leur formation ?

Pourquoi donc accuser M. Descartes d’être contraire à l’Écriture, à cause que, voulant examiner la nature des choses visibles, il en examine la formation par les lois du mouvement qui s’observent inviolablement en toutes rencontres ? Il n’a jamais douté : que le monde n’ait été créé au commencement avec autant de perfection qu’il en a ; en sorte que le soleil, la terre, la lune, les étoiles ont été dès lors, et que la terre n’a pas eu seulement en soi les semences des plantes, mais que les plantes mêmes en ont couvert une partie, et qu’Adam et Ève n’ont pas été crées enfants, mais en âge d’hommes parfaits. « La religion chrétienne, dit-il, veut que nous le croyions ainsi, et la raison naturelle nous persuade absolument cette vérité, parce que, considérant la toute-puissance de Dieu, nous devons juger que tout ce qu’il a fait a eu toute la perfection qu’il devait avoir. Mais, comme on connaîtrait beaucoup mieux quelle a été la nature d’Adam et celle des arbres du paradis si l’on avait examiné comment les enfants se forment peu à peu dans le ventre de leurs meres et comment les plantes sortent de leurs semences, que si l’on avait seulement considéré quels ils ont été quand Dieu les a créés, tout de même nous ferons mieux entendre quelle est généralement la nature de toutes les choses qui