Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/546

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sont au monde, si nous pouvons imaginer quelques principes qui soient fort intelligibles et fort simples, desquels nous fassions voir clairement que les astres, la terre, et enfin tout le monde visible aurait pu être produit ainsi que de quelques semences, bien que nous sachions qu’il n’a pas été produit en cette façon, que si nous le décrivions seulement comme il est ou bien comme nous croyons qu’il a été créé ; et parce que je pense avoir trouvé des principes qui sont tels, je tâcherai ici de les expliquer[1]. »

M. Dscartes a pensé que Dieu avait formé le monde tout d’un coup ; mais il a cru aussi que Dieu l’avait formé dans le même état, dans le même ordre et dans le même arrangement de parties où il aurait été s’il l’avait formé peu à peu par les voies les plus simples. Et cette pensée est digne de la puissance et de la sagesse de Dieu : de sa puissance, puisqu’il a fait en un moment tous ses ouvrages dans leur plus grande perfection ; de sa sagesse, puisque par là il a fait connaître qu’il prévoyait parfaitement tout ce qui devait arriver nécessairement dans la matière si elle était agitée par les voies les plus simples. et encore parce que l’ordre de la nature n’eût pu subsister si le monde eût été produit d’une manière contraire aux lois de mouvement par lesquelles il est conservé, ainsi que je viens de dire.

Il est ridicule de dire que M. Descartes a cru que le monde se soit pu former de lui-même, puisqu’il a reconnu, comme tous ceux qui suivent les lumières de la raison, qu’aucun corps ne peut même se remuer par ses propres forces, et que toutes les lois naturelles de la communication des mouvements ne sont que des suites des volontés immuables de Dieu, qui agit sans cesse d’une même manière. Ayant prouvé qu’il n’y a que Dieu qui donne le mouvement à la matière, et que le mouvement produit dans tous les corps toutes les différentes formes dont ils sont revêtus, c’en était assez pour ôter aux libertins tout prétexte de tirer aucun avantage de son système. Au contraire, si les athées faisaient quelque réflexion sur les principes de ce philosophe, ils se trouveraient bientôt contraints de reconnaître leurs erreurs, car s'ils peuvent soutenir, comme les païens, que la matière soit incréée, ils ne peuvent pas de même soutenir qu’elle ait jamais été capable de se mouvoir par ses propres forces. Ainsi les athées seraient du moins obligés de reconnaître le véritable moteur s’ils ne voulaient pas reconnaître le véritable créateur. Mais la philosophie ordinaire leur fournit assez de quoi s'aveugler et soutenir leurs erreurs ; car elle leur parle de certaines vertus impresses, de certaines facultés mo-

  1. Art. 45 de la troisième partie de ses Principes.