Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/566

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Toutes les preuves ordinaires de l’existence et des perfections de Dieu, tirées de l’existence et des perfections de ses créatures, ont, ce me semble, ce défaut : qu’elles ne convainquent point l’esprit par simple vue. Toutes ces preuves sont des raisonnements qui sont convaincants en eux-mêmes ; mais étant des raisonnements, ils ne sont point convaincants dans la supposition d’un mauvais génie qui nous trompe. Ils convainquent suffisamment qu’il y a une puíssance supérieure à nous, car même cette supposition extravagante l’établit ; mais ils ne convainquent pas pleinement qu’il y a un Dieu ou un être infiniment parfait. Ainsi dans ces raisonnements la conclusion est plus évidente que le principe.

Il est plus évident qu’il y a une puissance supérieure à nous, qu’il n’est évident qu’il y a un monde ; puisqu’il n’y a point de supposition qui puisse empècher qu’on ne démontre cette puissance supérieure : au lieu que dans la supposition d’un mauvais génie qui se plaise à nous tromper, il est impossible de prouver qu’il y ait un monde. Car on pourrait toujours concevoir que ce mauvais génie nous donnerait les sentiments des choses qui n’existeraient point, comme le sommeil et certaines maladies nous font voir des choses qui ne furent jamais, et nous font même sentir effectivement de la douleur dans des membres imaginaires que nous n’avons plus ou que nous n’avons jamais eus.

Mais les preuves de l’existence et des perfections de Dieu, tirées de l’idée que nous avons de l’intini, sont preuves de simple vue. On voit qu’il y a un Dieu des que l’on voit l’infini ; parce que l’existence nécessaire est renfermée dans l’idée de l’infini, et qu’il n’y a rien que l’infini qui nous puisse donner l’idée que nous avons d’un être infini[1]. Le premier principe de nos connaissances est que le néant n’est pas visible ; d’où il suit que si l’on pense à l’infini, il faut qu’il soit. On voit aussi que Dieu n’est point trompeur, parce que, sachant qu’il est íntiniment parfait et que l’infini ne peut manquer d’aucune perfection, on voit clairement qu’il ne veut pas nous séduire, et même qu’il ne le peut pas, puisqu’il ne peut que ce qu’il veut ou que ce qu’il est capable de vouloir. Ainsi il y a un Dieu et un Dieu véritable qui ne nous trompe jamais, quoiqu’il ne nous éclaire pas toujours et que nous nous trompions souvent lorsqu’il ne nous éclaire pas. Toutes ces vérités se voient de simple vue par des esprits attentifs, quoiqu’il semble que nous fassions ici des raisonnements pour les exposer aux autres. On peut les supposer comme des principes incontestables sur lesquels

  1. Voyez les deux premiers Entretiens sur la Métaphysique, et ci-dessus page 86.