Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/565

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est unie. Si l’on doute, si l’on veut, si l’on raisonne, il faut seulement croire que l’âme est une chose qui doute, qui veut, qui raisonne, et rien davantage, pourvu qu’on n’ait point éprouvé en elle d’autres propriétés ; car on ne connaît son âme que par le sentiment intérieur qu’on en a. Il ne faut pas prendre son âme pour son corps, ni pour du sang. ni pour des esprits animaux, ni pour du feu, ni pour une infinité d’autres choses pour lesquelles les philosophes l’ont prise. Il ne faut croire de l’âme que ce qu’on ne saurait s’empêcher d’en croire, et ce dont on est pleinement convaincu par le sentiment intérieur qu’on a de soi-même ; car autrement on se tromperait. Ainsi l’on connaîtra par simple vue ou par sentiment intérieur tout ce que l’on peut connaître de l’âme, sans être obligé à faire des raisonnements dans lesquels l’erreur se pourrait trouver. Car lorsque l’on raisonne, la mémoire agit ; et où il y a mémoire il peut y avoir erreur, supposé qu’il y ait quelque mauvais génie de qui nous dépendions dans nos connaissances et qui se divertisse à nous tromper.

Si je supposais, par exemple, un Dieu qui se plût à me séduire, je suis très-persuadé qu’il ne pourrait me tromper dans mes connaissances de simple vue, comme dans celle par laquelle je connais que je suis, de ce que je pense, ou que2 fois deux font 4 ; car quand même je supposerais effectivement un tel Dieu si puissant que je puisse me le feindre, je sens que dans cette supposition extravagante je ne pourrais douter que je fusse, ou que 2 fois 2 ne fussent égaux à 4, parce que j’aperçois ces choses de simple vue sans l’usage de la mémoire.

Mais lorsque je raisonne, ne voyant point évidemment les principes de mes raisonnements, et me souvenant seulement que je les ai vus avec évidence, si ce Dieu trompeur joignait ce souvenir à de faux principes, comme il pourrait le faire s’il le voulait, je ne ferais que de faux raisonnements. De même que ceux qui font de longues supputations s’imaginent se bien souvenir qu’ils ont connu que 9 fois 9 font 72, ou que 21 est un nombre premier, ou quelque semblable erreur de laquelle ils tirent de fausses conclusions.

Ainsi il est nécessaire de connaître Dieu et de savoir qu’il n’est point trompeur, si l’on veut être pleinement convaincu que les sciences les plus certaines, comme l’arithmétique et la géométrie, sont de véritables sciences ; car sans cela l’évidence n’étant point entière, on peut retenir son consentement. Et il est encore nécessaire de savoir par simple vue et non point par raisonnement que Dieu n’est point. trompeur ; puisque le raisonnement peut toujours être faux, si l’on suppose Dieu trompeur.