Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, pour résoudre la question si les bêtes ont une âme, il faut rentrer en soi-même et considérer avec toute l’attention dont on est capable l’idée que l’on a de la matière. Et si l’on conçoit que la matière, figurée d’une telle manière, comme en carré, en rond, en ovale, soit de la douleur, du plaisir, de la chaleur, de la couleur, de l’odeur, du son, etc., on peut assurer que l’âme des bètes, quelque matérielle qu’elle soit, est capable de sentir. Si on ne le conçoit pas, il ne le faut pas dire, car il ne faut assurer que ce que l’on conçoit. De même si l’on conçoit que de la matière agitée de bas en haut, de haut en bas. en ligne circulaire, spirale, parabolique, elliptique, etc., soit un amour, une haine, une joie, une tristesse, etc., on peut dire que les bêtes ont les mêmes passions que nous ; si on ne le voit pas, il ne le faut pas dire, à moins qu’on ne veuille parler sans savoir ce qu’on dit. Mais je pense pouvoir assurer qu’on ne croira jamais qu’aucun mouvement de matière puisse être un amour ou une joie, pourvu que l’on y pense sérieusement. De sorte que pour résoudre cette question, si les bêtes sentent, il ne faut qu’avoir soin d’en ôter l’équivoque, comme font ceux qu’on se plaît d’appeler cartésiens ; car on la réduira ainsi à une question si simple qu’une médiocre attention d’esprit suffira pour la résoudre.

Il est vrai que saint Augustin, supposant selon le préjugé commun à tous les hommes que les bêtes ont une âme, au moins n’ai-je point lu qu’il l’ait jamais examiné sérieusement dans ses ouvrages, ni qu’il l’ait révoqué en doute ; et s’apercevant bien qu’il y a contradiction de dire qu’une âme ou une substance qui pense, qui sent, qui désire, etc., soit matérielle, il a cru que l’âme des bêtes était effectivement spirituelle et indivisible[1]. Il a prouvé par des raisons très-évidentes que toute âme, c’est-à-dire tout ce qui sent, qui s’imagine, qui craint, qui désire, etc., est nécessairement spirituel ; mais je n’ai point remarqué qu’il ait eu quelque raison d’assurer que les bêtes ont des âmes. Il ne se met pas même en peine de le prouver, parce qu’il y a bien de l’apparence que de son temps il n’y avait personne qui en doutât.

Présentement qu’il y a des gens qui tâchent de se délivrer entièrement de leurs préjugés, et qui révoquent en doute toutes les opinions qui ne sont point appuyées sur des raisonnements clairs et démonstratifs, on commence à douter si les animaux ont une âme capable des mêmes sentiments et des mêmes passions que les nôtres. Mais il se trouve toujours plusieurs défenseurs des préjugés, qui prétendent prouver que les bètes sentent, veulent, pensent et

  1. Liv. 4 De anína et ejus origine, c. 23, et liv. De quantitate animæ et ailleurs.