Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/582

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raisonnent même comme nous, quoique d’une manière beaucoup plus imparfaite.

Les chiens, disent-ils, connaissent leurs maîtres, ils les aiment, ils souffrent avec patience les coups qu’ils en reçoivent, parce qu’ils jugent qu’il leur est avantageux de ne point les abandonner ; mais pour les étrangers ils les haïssent de telle sorte qu’ils ne peuvent même souffrir d’en être caresses. Tous les animaux ont de l’amour pour leurs petits ; et ces oiseaux qui font leurs nids à l’extrémité des branches font assez connaître qu’ils appréliendent que certains animaux ne les dévorent : ils jugent que ces branches sont trop faibles pour porter leur ennemis, et assez fortes pour soutenir leurs petits et leurs nids tout ensemble. Il n’y a pas jusqu’aux araignées et jusqu’aux plus vils insectes qui ne donnent des marques qu’il y a quelque intelligence qui les anime : car on ne peut s’empêcher d’admirer la conduite d’un animal qui, tout aveugle qu’il est, trouve moyen d’en surprendre dans ses filets d’autres qui ont des yeux et des ailes, et qui sont assez hardis pour attaquer les plus gros animaux que nous voyions.

Il est vrai que toutes les actions que font les bêtes marquent qu’il y a une intelligence, car tout ce qui est réglé le marque. Une montre même le marque : il est impossible que le hasard en compose les roues, et il faut que ce sont une intelligence qui en ait réglé les mouvements. Ou plante une graine à contre-sens, les racines qui sortaient hors de la terre s’y enfoncent d’elles-mêmes, et le germe qui était tourné vers la terre se détourne aussi pour en sortir ; cela marque une intelligence. Cette plante se noue d’espace en espace pour se fortifier ; elle couvre sa graine d’une peau qui la conserve ; elle l’environne de piquants pour la défendre : cela marque une intelligence. Enfin tout ce que nous voyons que font les plantes aussi bien que les animaux, marque certainement une intelligence. Tous les véritables cartésiens l’accordent. Mais tous les véritables cartésiens distinguent, car ils ôtent, autant qu’ils peuvent, l’équivoque des termes.

Les mouvements des bêtes et des plantes marquent une intelligence, mais cette intelligence n’est point de la matière, elle est distinguée des bêtes, comme celle qui arrange les roues d’une montre est distinguée de la montre. Car enfin cette intelligence paraît infiniment sage, infiniment puissante, et la même qui nous a formés dans le sein de nos mères, et qui nous donne l’accroissement auquel nous ne pouvons, par tous les efforts de notre esprit et de notre volonté, ajouter une coudée. Ainsi, dans les animaux, il n’y a ni intelligence ni âme, comme on l’entend ordinairement. Ils