Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est la même chose, les corps étant d’autant plus durs qu’ils sont plus solides et qu’ils ont moins de pores, la question est à présent de savoir comment les parties d’une colonne composée d’une matière qui n’aurait aucun pore peuvent être fortement jointes ensemble et composer un corps très-dur, car on ne peut pas dire que les parties de cette colonne se tiennent par de petits liens, puisque, étant supposées sans pores, elles n’ont point de figure particulière.

Je me sens encore extrêmement porté à dire que cette colonne est dure par sa nature, ou bien que les petits liens dont sont composés les corps durs, sont des atomes dont les parties ne se peuvent diviser comme étant les parties essentielles et dernières des corps, et qui sont essentiellement crochus ou branchus, ou d’une figure embarrassante.

Mais je reconnais franchement que ce n’est point expliquer la difficulté et que quittant les préoccupations et les illusions de mes sens j’aurais tort de recourir à une forme abstraite et d’embrasser un fantôme de logique pour la cause que je cherche ; je veux dire que j’aurais tort de concevoir comme quelque chose de réel et de distinct, l’idée vague de nature ou d’essence qui n’exprime que ce que l’on sait, et de prendre ainsi une forme abstraite et universelle comme une cause physique d’un effet très-réel. Car il y a deux choses desquelles je ne me saurais trop défier. La première est l’impression de mes sens, et l’autre est la facilité que j’ai de prendre les natures abstraites et les idées générales de logique pour celles qui sont réelles et particulières, et je me souviens d’avoir été plusieurs fois séduit par ces deux principes d’erreur.

Car, pour revenir à la difficulté, il ne m’est pas possible de concevoir comment ces petits liens seraient indivisibles par leur essence et par leur nature, ni par conséquent comment ils seraient inflexibles, puisqu’au contraire je les conçois très-divisibles et nécessairement divisibles par leur essence et par leur nature. Car la partie A est très-certainement une substance aussi bien que B, et par conséquent il est clair que A peut exister sans B ou séparé de B, puisque les substances peuvent exister les unes sans les autrœ. parce que autrement elles ne seraient pas des substances.

De dire que A ne soit pas une substance, cela ne se peut ; car je le puis concevoir sans penser à B, et tout ce qu’on peut concevoir seul n’est point un mode, puisqu’il n’y a que les modes ou manières d’être qui ne se puissent concevoir seuls ou sans les êtres dont ils sont les manières. Donc A n’étant point un mode c’est une substance, puisque tout être est nécessairement ou une substance ou bien une