Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/609

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mouvements à la rencontre des différents corps, par la proportion de la grandeur qui se trouve entre ces corps ; puisque nous n’avons point d’autre moyen d’entrer dans la connaissance de cette volonté générale et immuable de Dieu, qui fait la différente puissance que les corps ont pour agir et pour se résister les uns aux autres, que leur différente grandeur et leur différente vitesse.

Cependant je n’ai point de preuve certaine que Dieu veuille, par une volonté positive, que les corps demeurent en repos ; et il semble qu’il suffit que Dieu veuille qu’il y ait de la matière, afin que non-seulement elle existe, mais aussi afin qu’elle existe en repos.

Il n’en est pas de même du mouvement, parce que l’idée d’une matière mue renferme certainement deux puissances ou efficaces, auxquelles elle a rapport, savoir, celle qui l’a créée et de plus celle qui l’a agitée. Mais l’idée d’une matière en repos ne renferme que l’idée de la puissance qui l’a créée, sans qu’il soit nécessaire d’une autre puissance pour la mettre en repos ; puisque si on conçoit simplement de la matière sans songer à aucune puissance, on la concevra nécessairement en repos. C’est ainsi que je conçois les choses, j’en dois juger selon mes idées ; et, selon mes idées, le repos n’est que la privation du mouvement : je veux dire que la force prétendue qui fait le repos n’est que la privation de celle qui fait le mouvement ; car il suffit, ce me semble, que Dieu cesse de vouloir qu’un corps soit mu, afin qu’il cesse de l’être, et qu’il soit en repos.

En effet, la raison et mille et mille expériences m’apprennent que si de deux corps égaux en masse, l’un se meut avec un degré de vitesse et l’autre avec un demi-degré, la force du premier sera double de la force du second. Si la vitesse du second n’est que le quart, la centième, la millionième de celle du premier ; le second n’aura que le quart, la centième, la millionième partie de la force du premier. D’où il est aisé de conclure que si la vitesse du second est infiniment petite, ou enfin nulle, comme dans le repos, la force du second sera infiniment petite. ou enfin nulle, s'il est en repos. Ainsi, il me paraît évident que le repos n’a nulle force pour résister à celle du mouvement.

Mais je me souviens d’avoir ouï dire à plusieurs personnes très-éclairées, qu’il leur paraissait que le mouvement était aussi bien la privation du repos, que le repos la privation du mouvement. Quelqu’un même assura, par des raisons que je ne pus comprendre, qu’il était plus probable que le mouvement fût une privation que le repos. Je ne me souviens pas distinctement des raisons qu’ils apportaient, mais cela me doit faire craindre que mes idées ne