Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soient fausses. Car encore que la plupart des hommes disent tout ce qui leur plait, sur des matières qui paraissent peu importantes, néanmoins j’ai sujet de croire que les personnes dont je parle prenaient plaisir à dire ce qu’ils concevaient. Il faut donc que j’examine encore mes idées avec soin.

C’est une chose qui me paraît indubitable, et ces messieurs dont je parle en tombaient d’accord, savoir que c’est la volonté de Dieu qui meut les corps. La force donc qu’a cette boule que je vois rouler, c’est la volonté de Dieu qui la fait rouler ; que faut-il présentement que Dieu fasse pour l'arrêter ? faut-il qu’il veuille par une volonté positive qu’elle soit en repos, ou bien s’il suffit qu’il cesse de vouloir qu’elle soit agitée[1] ? Il est évident que si Dieu cesse seulement de vouloir que cette boule soit agitée, la cessation de cette volonté de Dieu fera la cessation du mouvement de la boule, et par conséquent le repos. Car la volonté de Dieu, qui était la force qui remuait la boule, n’étant plus, cette force ne sera plus, la boule ne sera donc plus mue. Ainsi la cessation de la force du mouvement fait le repos. Le repos n’a donc point de force qui le cause. Ce n’est donc qu’une pure privation qui ne suppose point en Dieu de volonté positive. Ainsi ce serait admettre en Dieu une volonté positive sans raison et sans nécessité, que de donner aux corps quelque force pour demeurer dans le repos.

Mais renversons s’il est possible cet argument. Supposons présentement une boule en repos, au lieu que nous la supposions en mouvement ; que faut-il que Dieu fasse pour l’agíter ? Suffit-il qu’il cesse de vouloir qu”elle soit en repos ? Si cela est je n'ai encore rien avancé ; car le mouvement sera aussitôt la privation du repos, que le repos la privation du mouvement. Je suppose donc que Dieu cesse de vouloir qu’elle soit en repos. Mais, cela supposé, je ne vois pas que la boule se remue ; et, s'il y en a qui conçoivent qu’elle se remue, je les prie qu’ils me disent de quel côté, et selon quel degré de mouvement elle est mue. Certainement, il est impossible qu’elle soit mue et qu’elle n’ait point quelque détermination et quelque degré de mouvement ; et de cela seul qu’on conçoit que Dieu cesse de vouloir qu’elle soit en repos, il est impossible de concevoir qu’elle aille avec quelque degré de mouvement, parce qu’il n’en est pas de même du mouvement comme du repos. Les mouvements sont d’une infinité de façons, ils sont capables du plus et du moins ; mais le repos n’étant rien, ils ne peuvent différer les uns des autres. Une même boule, qui va deux fois plus vite en un temps qu’en un autre, à deux fois plus de force ou de mouvement en un temps

  1. J’imagine ici qu’il n’y ait que Dieu, moi, et une boule.