Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/613

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grand repos ; et qu’ainsi on ne doit point comparer la force du mouvement et du repos, par la proportion qui se trouve entre la grandeur des corps qui sont en mouvement et enrepos, comme a fait M. Descartes.

Il est vrai qu’il y a quelque raison de croire, qu’un vaisseau est agité dès qu’il est dans l’eau, à cause du changement continuel qui arrive aux parties de l’eau qui l’environnent, quoiqu’il nous semble qu’il ne change point de place. Et c’est ce qui fait croire à M. Descartes et à quelques autres que ce n’est pas la force toute seule de celui qui le pousse, laquelle le fait avancer dans l’eau, mais qu’ayant déjà reçu beaucoup de mouvement des petites parties du corps liquide qui l’environnent et qui le poussent également de tous côtés, ce mouvement est seulement déterminé par un nouveau mouvement de celui qui le pousse, de sorte que ce qui agite un corps dans l’eau ne le pourrait par faire dans le vide. C’est ainsi que M. Descartes et ceux qui sont de son sentiment, défendent les règles du mouvement qu’il nous a données.

Supposons, par exemple, un morceau de bois de la grandeur d’un pied en carré dans un corps liquide, toutes les petites parties du corps liquide agissent et se remuent contre lui ; et parce qu’ils le poussent également de tous côtés, autant vers A que vers B, il ne peut avancer vers aucun côté. Que si je pousse donc un autre morceau de bois de demi-pied contre le premier du côté A, je vois qu’il avance. Et de là je conclus qu’on le pourrait remuer dans le vide avec moins de force que celle dont ce morceau de bois le pousse, pour les raisons que je viens de dire. Mais les personnes dont je parle le nient, et ils répondent que ce qui fait que le grand morceau de bois avance dès qu’il est poussé par le petit, c’est que le petit qui ne pourrait le remuer s’il était seul, étant joint avec les parties du corps liquide qui sont agitées, les détermine à le pousser et à lui communiquer une partie de leur mouvement. Mais il est visible que suivant cette réponse, le morceau de bois étant une fois agité ne devrait point diminuer son mouvement, et qu’il devrait au contraire l’augmenter sans cesse. Car selon cette réponse le morceau de bois est plus poussé par l’eau du côté A que du côté B, donc il doit toujours s’avancer. Et parce que cette impulsion est continuelle, son mouvement doit toujours croître. Mais, comme j’ai déjà dit, tant s’en faut que l’eau facilite son mouvement qu’elle lui résiste sans cesse et que sa résistance le diminuant toujours, le rend enfin tout à fait insensible.

Il faut prouver à présent que le morceau de bois qui est également poussé par les petites parties de l’eau qui l’environne, n’a