Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/614

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point du tout de mouvement ou de force qui soit capable de le mouvoir, quoiqu’il change continuellement de lieu immédiat, ou que la surface de l’eau qui l’environne ne soit jamais la même en différents temps. Car s’il est ainsi, qu’un corps également poussé de tous côtés comme ce morceau de bois, n’ait point de mouvement, il sera indubitable que c’est seulement la force étrangère qui heurte contre lui qui lui en donne, puisque dans le temps que cette force étrangère le pousse, l’eau lui résiste et dissipe même peu à peu le mouvement qui lui est imprimé, car il cesse peu à peu de se mouvoir. Or cela paraît évident, car un corps également poussé de tous côtés peut être comprimé ; mais certainement il ne peut être transporté ; puisque plus et moins une égale force est égal à zéro.

Ceux à qui je parle soutiennent qu’il n’y a jamais dans la nature plus de mouvement en un temps qu’en un autre, et que les corps en repos ne sont mus que par la rencontre de quelques corps agités qui leur communiquent de leur mouvement. De là je conclus qu’un corps que je suppose créé parfaitement en repos au milieu de l’eau, ne recevra jamais aucun degré de mouvement ni aucun degré de force pour se mouvoir, des petites parties de l’eau qui l’entourent et qui viennent continuellement heurter contre lui, pourvu qu’elles le poussent également de tous côtés, parce que toutes ces petites parties qui viennent heurter contre lui également de tous côtés, rejaillissant avec tout leur mouvement, elles ne lui en communiquent point ; et par conséquent ce corps doit toujours être considéré comme en repos et sans aucune force mouvante, quoiqu’il change continuellement de surface.

Or, la preuve que j’ai que ces petites parties rejaillissent ainsi avec tout leur mouvement, c’est qu’outre qu’on ne peut pas concevoir la chose autrement, l’eau qui touche ce corps devrait se refroidir beaucoup ou même se glacer, et devenir à peu près aussi dure qu’est le bois en sa surface, puisque le mouvement des parties de l’eau devrait se répandre également dans les petites parties du corps qu’elles environnent.

Mais pour m’accommoder à ceux qui défendent le sentiment de M. Descartes, je veux bien accorder que l’on ne doit point considérer un bateau dans l’eau comme en repos. Je veux aussi que toutes les parties de l’eau qui l’environnent s’accordent toutes au mouvement nouveau que le batelier lui imprime, quoiqu’il ne soit que trop visible, par la diminution du mouvement du bateau, qu’elles lui résistent davantage du côté où il va que de celui d’où il a été poussé. Cela toutefois supposé, je dis que, de toutes les parties l’eau qui sont dans la rivière, il n’y a, selon M. Descartes, que