Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/626

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Peut-être qu’on reconnaîtra par cet essai de méthode la nécessité qu’il y a de ne raisonner que sur des idées claires et évidentes, et dont on est intérieurement convaincu que toutes les nations en conviennent, et de ne passer jamais aux choses composées avant que d’avoir suffisamment examiné les simples dont elles dépendent.

Que si l’on considère qu’Aristote et ses sectateurs n’ont point observé les règles que j’ai expliquées, comme l’on en doit être convaincu, tant par les preuves que j’en ai apportées que par la connaissance des opinions des plus zélés défenseurs de ce philosophe, peut-être qu’on méprisera sa doctrine, malgré toutes les impressions avantageuses que nous en donnent ceux qui se laissent étourdir par des mots qu’ils n’entendent point.

Mais si l’on prend garde à la manière de philosopher de M. Descartes, on ne pourra douter de sa solidité ; car j’ai suffisamment montré qu’il ne raisonne que sur des idées claires et évidentes, et qu’il commence par les choses les plus simples avant que de passer aux plus composées qui en dépendent. Ceux qui liront les ouvrages de ce savant homme se convaincront pleinement de ce que je dis de lui, pourvu qu’ils les lisent avec toute l’application nécessaire pour les comprendre, et ils sentiront une secrète joie d’être nés dans un siècle et dans un pays assez heureux pour nous délivrer de la peine d’aller chercher dans les siècles passés parmi les païens, et dans les extrémités de la terre parmi les barbares ou les étrangers, un docteur pour nous instruire de la vérité, ou plutôt un moniteur assez fidèle pour nous disposer à en être instruits.

Néanmoins, comme on ne doit pas se mettre fort en peine de savoir les opinions des hommes, quand même on serait convaincu d’ailleurs qu'ils auraient découvert la vérité, je serais bien fâché que l’estime que je parais avoir ici pour M. Descartes préoccupât personne en sa faveur, et que l’on se contentât de lire et de retenir ses opinions, sans se soucier d’être éclairé de la lumière de la vérité. Ce serait alors préférer l’homme à Dieu, le consulter à la place de Dieu, et se contenter des réponses obscures d’un philosophe qui ne nous éclaire point, pour éviter la peine qu’il y a d’interroger par la méditation celui qui nous répond et qui nous éclaire tout ensemble.

C’est une chose indigne que de se rendre partisan de quelque secte que ce soit, et que d’en regarder les auteurs comme s’ils étaient infaillibles. Aussi M. Descartes, voulant plutôt rendre les hommes disciples de la vérité que sectateurs entêtes de ses sen-