Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/69

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dans les espaces imaginaires. De sorte que s’il y a un espace assez considérable entre A et C, l’âme ne pourra point par ce moyen connaître si l’objet est proche de B ou de D.

C’est pour cette raison que nous voyons le soleil et la lune comme s’ils étaient enveloppes dans les nues, quoiqu’ils en soient étrangement éloignés ; que nous croyons naturellement que tous les astres sont dans une égale distance, et que les comètes sont stables et presque sans aucun mouvement sur la fin de leur cours. Nous nous imaginons même que les comètes se dissipent entièrement au bout de quelques mois, à cause qu’elles s’éloignent de nous par une ligne presque droite ou directe à nos yeux, et quelles vont ainsi se perdre dans ces grands espaces, d’où elles ne retournent qu’après plusieurs années, ou même après plusieurs siècles ; car il y a bien de l’apparence qu’elles ne se dissipent pas dès qu’on cesse de les voir.

Pour expliquer le second moyen dont l’âme se sert pour juger de la distance des objets, il faut savoir qu’il est absolument nécessaire que la figure de l’œil soit différente, selon la différente distance des objets que nous voyons ; car lorsqu’un homme voit un objet proche de soi, il est nécessaire que ses yeux soient plus longs que si l’objet était plus éloigné : parce qu’afin que les rayons de cet objet se rassemblent sur le nerf optique, ce qui est nécessaire afin qu’on le voie distinctement, principalement parce que l’objet est peu éclairé, il faut que la distance d’entre ce nerf et le cristallin soit plus grande.

ll est vrai que si le cristallin devenait plus convexe quand l’objet est proche, cela ferait le même effel que si l’œil s’allongeait ; mais il n’est pas croyable que le cristallin puisse facilement changer de convexité ; et l’on a, d’un autre côté, une preuve assez vraisemblable que l’œil s’allonge ; car l’anatomie apprend qu’il y a des muscles qui environnent l’œil par le milieu, et l’on sent l’effort de ces muscles qui le pressent, et qui l’allongent apparemment quand on veut voir quelque chose de fort près.

Mais il n’est pas nécessaire de savoir ici de quelle manière cela se fait, il suffit qu’il arrive du changement dans l’œil, soit parce que les muscles qui l’environnent le pressent, soit parce que les petits nerfs qui répondent aux ligaments ciliaires, lesquels tiennent le cristallin suspendu entre les autres humeurs de l’œil, se lâchent pour augmenter la convexité du cristallin, ou se roidissent pour la diminuer, soit enfin parce que la prunelle se dilate ou se resserre, car il y a bien des gens dont les yeux ne reçoivent point d’autre changement.

Can enfin, le changement qui arrive, quel qu’il soit, n’est que pour faire que les rayons des objets se rassemblent tout juste sur