Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/74

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matière transparente qui est entre l’objet et l’œil peut faire une plus grande réfraction en un temps qu’en un autre, soit parce qu’il arrive quelquefois de petits tremblements ce nerf, soit enfin parce que l’impression que fait l’union peu exacte des rayons sur ce même nerf se répand et se communique aux parties qui n’en devaient point être agitées, ce qui peut venir de plusieurs causes différentes. Ainsi l’image des mêmes objets se trouvant plus grande dans ces occasions, elle donne sujet à l’âme de croire que l’objet s’approche. Il en faut dire autant des autres propositions.

Avant que de finir ce chapitre, il faut remarquer qu’il nous importe beaucoup, pour la conservation de notre vie, de connaître mieux le mouvement ou le repos des corps à proportion qu’ils sont plus proches de nous, et qu’il nous est assez inutile de savoir avec exactitude la vérité de ces choses quand elles se passent dans des lieux forts éloignés. Car cela montre évidemment que ce que j’ai avancé généralement de tous les sens, qu’ils ne nous font connaître les choses que par rapport à la conservation de notre corps et non pas selon ce qu’elles sont en elles-mêmes, se trouve exactement vrai en cette rencontre, puisque nous connaissons mieux le mouvement ou le repos des objets à proportion qu’ils s’approchent de nous, et que nous ne saurions juger par les sens quand ils sont si éloignés qu’il semble qu’ils n’aient plus ou presque plus de rapport à nos corps ; comme quand ils sont à cinq ou six cents pas de nous, s’ils sont d’une grandeur médiocre ; ou même plus près que cela, s’ils sont plus petits, ou enfin plus loin de quelque chose, s’ils sont plus grands.


CHAPITRE X.
Des erreurs touchant les qualités sensibles. — I. Distinction de l’âme et du corps — II. Explication des organes des sens. — III. A quelle partie du corps l’âme est immédiatement unie. — IV. Ce que les objets font sur les corps. — V. Ce qu’ils produisent dans l’âme, et les raisons pour lesquelles l’âme n’aperçoit point les mouvements des libres du corps. — VI. Quatre choses que l’on confond dans chaque sensation.


Nous avons vu, dans les chapitres précédents, que les jugements que nous formons sur le rapport de nos yeux touchant l’étendue. la figure et le mouvement, ne sont jamais exactement vrais : cependant il faut tomber d’accord qu’ils ne sont pas entièrement faux ; ils renferment au moins cette vérité, qu’il y a hors de nous de l’étendue, des figures et des mouvements quels qu’ils soient.

Il est vrai que nous voyons souvent des choses qui ne sont point et qui ne furent jamais, et que nous ne devons pas conclure qu’une