Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/77

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y aboutissent, ou, si l’on veut, par les diverses secousses des esprits contenus dans ces fibres. Cela posé et bien conçu, il ne sera pas fort difficile de voir comment la sensation se fait : ce qu’il faut expliquer par quelque exemple.

IV. Lorsqu’on appuie la pointe d’une aiguille sur sa main, cette pointe remue et sépare les fibres de la chair. Ces fibres sont étendues depuis cet endroit jusqu’au cerveau ; et, quand on veille, elles sont assez bandées pour ne pouvoir être ébranlées que celles du cerveau ne le soient. Il s’ensuit donc que les extrémités de ces fibres, qui sont dans le cerveau, sont aussi remuées. Si le mouvement des fibres de la main est modéré, celui des fibres du cerveau le sera aussi ; et si ce mouvement est assez violent pour rompre quelque chose sur la main, il sera de même plus fort et plus violent dans le cerveau.

De même, si on approche sa main du feu, les petites parties du bois qu’il pousse continuellement en fort grand nombre et avec beaucoup de violence, comme la raison le démontre au défaut de la vue, viennent heurter contre ces fibres et leur communiquent une partie de leur agitation. Si cette action est modérée, celle des extrémités des fibres du cerveau, qui répondent à la main, sera modérée ; et si ce mouvement est assez violent dans la main pour en séparer quelques parties, comme il arrive quand on se brûle, le mouvement des fibres intérieures du cerveau sera, à proportion. plus fort et plus violent. Voilà ce qu’en peut concevoir qui arrive à notre corps quand les objets nous frappent. Il faut maintenant voir ce qui arrive à notre âme.

V. Elle réside principalement, s’il est permis de le dire ainsi, dans cette partie du cerveau où tous les filets de nos nerfs aboutissent ; elle y est pour entretenir et pour conserver toutes les parties de notre corps ; et, par conséquent, il faut qu’elle soit avertie de tous les changements qui y arrivent, et qu’elle puisse distinguer ceux qui sont conformes à la constitution de son corps d’avec les autres, parce qu’il lui serait inutile de les reconnaître absolument et sans ce rapport à son corps. Ainsi, quoique tous ces changements de nos fibres ne consistent, selon la vérité, que dans des mouvements qui ne diffèrent ordinairement que du plus et du moins, il est nécessaire que l’âme les regarde comme des changements essentiellement différents ; car encore qu’en eux-mêmes ils ne diffèrent que très-peu, on les doit toutefois considérer comme essentiellement différents par rapport à la conservation du corps.

Le mouvement, par exemple, qui cause la douleur ne diffère assez souvent que très-peu de celui qui cause le chatouillement.