Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/76

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aucune propriété différente de ses diverses pensées. Je suppose donc que l’on sache bien distinguer l’âme du corps ; que si ce que je viens de dire ne suffit pas pour faire sentir la différence de ces deux substances, ou peut lire et méditer quelques endroits de saint Augustin, comme le chapitre 40 du livre de la Trinité, les chapitres 4 et 14 du livre de la Quantité de l’âme, ou les Méditations de M. Descartes, principalement ce qui regarde la distinction de l’âme et du corps ; ou enfin le sixième discours du Discemement de l’âme et du corps, de M. de Cordemoy.

II. Je suppose aussi qu’on sache l’anatomie des organes des sens, et qu’ils sont composés de petits filets qui ont leur origine dans le milieu du cerveau ; qu’ils se répandent dans tous nos membres où il y a du sentiment, et qu’ils viennent enfin aboutir, sans aucune interruption, jusqu’aux parties extérieures du corps ; que, pendant que l’on veille et qu’on est en santé, on ne peut en remuer un bout que l’autre ne se remue en même temps, à cause qu’ils sont toujours un peu bandés ; de même qu’il arrive à une corde bandée, de laquelle on ne peut remuer une partie sans que l’autre soit éhranlée.

Il faut aussi savoir que ces filets peuvent être remués en deux manières, ou bien par le bout qui est hors du cerveau, ou par le bout qui est dans le cerveau. Si ces filets sont agitée au dehors par l’action des objets, et que leur agitation ne se communique point jusqu’au cerveau, comme il arrive dans le sommeil, l’âme n’en reçoit pour lors aucune sensation nouvelle. Mais si ces petits filets sont remués dans le cerveau par le cours des esprits animaux ou par quel qu’autre cause, l’âme aperçoit quelque chose, quoique les parties de ces filets, qui sont hors du cerveau et répandus dans toutes les parties de notre corps, soient dans un parlait repos, Oomme il arrive encore pendant qu’on dort.

III. Il est bon de remarquer ici, en passant, que l’expérience apprend qu’il peut arriver que nous sentions de la douleur dans des parties de notre corps qui nous ont été entièrement coupées, parce que les filets du cerveau, qui leur répondent, étant ébranlés de la même manière que si elles étaient effectivement blessées, l’âme sent dans ces parties imaginaires une douleur très-réelle. Car toutes ces choses montrent visiblement que l’âme réside immédiatement dans la partie du cerveau à laquelle tous les organes des sens aboutissent : je veux dire qu’elle y sent tous les changements qui s’y passent par rapport aux objets qui les ont causés ou qui ont accoutumé de les causer, et qu’elle n’aperçoit ce qui se passe au dehors de cette partie que par l’entremise des fibres qui