Page:Malherbe - Œuvres, éd. Lalanne, t5, 1869.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

II LEXIQUE DE MALHERBE.

nir soi-même, rend bien moins populaire que stimuler, entraîner par le précepte et par l’exemple. Par le rôle de censeur, de prôneur de la discipline, usant du frein beaucoup, de l’éperon fort peu ou pas du tout, on est sûr, tant qu’on est là jouant ce rôle, d’exciter, dans l'irritabile genus, bien des haines, ou tout au moins force blâmes, contradictions, et répugnances ; puis on laisse après soi et l’on garde à la longue une renommée terne et moyenne , sans éclat comme sans attrait, et qui, excepté chez quelques sages, amis avant tout de la tempérance et de la prudence, ne se compose que de raisonnable et assez froide estime. Telle est la part que presque tous font maintenant à Malherbe, aussi bien ceux qui vraiment le connaissent, que ceux, et c’est le très-grand nombre, qui ne savent de lui que quelques vers, quelques strophes, et du reste le jugent par ouï-dire.

Au temps même où le réformateur exerçait sa sévère influence , et immédiatement après sa mort, plus d’un, parmi ses adversaires et ses partisans, était loin, comme bien l’on pense, de cette calme appréciation. Régnier, le libre et mordant satirique, que le Normand grondeur avait blessé, ne le trouvait propre, lui et les siens, Qu'à regratter un mot douteux au jugement..., Qu'à proser de la rime et rimer de la prose. A l’en croire.

Nul aiguillon divin n'élevoit leur courage, Ils rampoient bassement....

Les amis, en revanche, allaient jusqu’à l’adoration. L’un des beaux esprits du temps, Godeau, qui fut plus tard évêque de Grasse et de Vence, ne se contente pas, dans le Discours qu’il a placé en tète de l’édition de 163o, de nommer Malherbe "l’honneur de son siècle, les délices des rois, l’amour des Muses et l’un de leurs plus accomplis chefs-d’œuvre; » dans un transport lyrique, il s’écrie : « Retirez-vous, profanes : chaque ligne est sacrée ; vous n’y pouvez porter la main sans commettre un sacrilège.... Si vous ne l’honorez pas assez pour consacrer des temples à sa mémoire, au moins respectez ceux que les autres entreprennent de lui bâtir. » Quand Godeau parlait ainsi, il avait vingt-quatre ans, c’est-à-dire un âge où d’ordinaire on est peu tenté de s’enthousiasmer à ce point pour des vertus sages et austères, telles que "la raison sévère, comme dit M. Sainte-Beuve, la netteté scrupuleuse et la froide chasteté du

I. Voyez la satire ix de Régnier, vers 56, 6a, 63, 66. a. Voyez notre tome I, p. 367.