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NOTICE


Théophile n’a pas la force, le relief, la couleur de Saint-Amand ; sa langue est plus molle, sa verve ne jaillit point : elle s’épand, plutôt, avec une abondance un peu lente et diffuse. Mais quel charme, à de certaines minutes ! Comparez, par exemple, sa Solitude à la pièce de Saint-Amand qui porte le même titre : celle-ci est une vision heurtée et fantastique ; celle-là est une musique rêveuse et enveloppante. L’une parle à l’esprit et aux yeux, l’autre parle à l’oreille et au cœur.

Théophile avait trop de sensibilité pour aimer beaucoup Malherbe, encore qu’il s’efforçât de lui rendre justice :

Imite qui voudra les merveilles d’autrui,
Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui.
Mille petits voleurs l’écorchent tout en vie.
Quant à moi, ces larcins ne me font point d’envie ;
J’approuve que chacun écrive à sa façon :
J’aime sa renommée et non pas sa leçon.
Les esprits mendiants, d’une veine infertile,
Prennent à tous propos ou sa rime ou son style.
Et de tant d’ornements qu’on trouve en lui si beaux
Joignent l’or et la soie à de vilains lambeaux,
Pour paraître aujourd’hui d’aussi mauvaise grâce
Que parut autrefois la Corneille d’Horace.
Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
Pourrait s’apparier la rime de Memphis…
Mon âme, imaginant, n’a pas la patience
De bien polir les vers et ranger la science…
Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise.
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouir, comme en songeant, la course d’un ruisseau.
Écrire dans le bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain sans songer à le faire.


Théophile se définit ici délicieusement. En lisant ces vers on se souvient encore de Ronsard et déjà l’on songe à La Fontaine.